Le monde flottant du chorégraphe japonais Saburo Teshigawara

Le Théâtre des Salins, à Martigues, dans le sud de la France, reçoit en première européenne la nouvelle création de Saburo Teshigawara, « Sleeping Water », jusqu'au vendredi 10 février. Avec cette aventure toute en lumières et mouvements, entre le rêve et le réel, le chorégraphe japonais questionne l’illusion de notre réalité. Une invitation dans un monde flottant et sans frontières.

Que faire quand tout semble être propulsé dans un monde flottant ? Comment s’orienter dans un univers sans véritable début ni fin ? Sur la scène du Théâtre des Salins à Martigues, le chorégraphe japonais Saburo Teshigawara explore les abîmes de notre existence avec des mouvements abstraits, disloqués, saccadés, désarticulés : « Durant notre sommeil, nous vivons un espace de temps très étrange. C’est un moment très mystérieux dans chaque vie. Nous passons un tiers de notre vie à dormir. Ce n’est pas rien. C’est un moment très poétique, une action très réaliste, pas du tout irréaliste. »

Un état de vie bousculé par l’ombre et la lumière, englouti par un univers aussi irréel qu’incertain. Sur scène, les corps des six danseurs semblent flotter, plonger, s’évaporer… Cette lutte contre le champ de pesanteur exprime à sa façon les curieux états d’une réalité tronquée. « Ce n’est pas juste un mystère, mais l’expérience de moments réalistes. Parfois, nous respirons tout simplement et restons le regard fixé dans l’air. C’est une façon de bouger le corps rempli plein de mystères. »

Rêves et cauchemars accouchent des mouvements et des cris. Des chaises suspendues au-dessus des danseurs jettent leurs ombres au sol. Tout risque à tout moment de disparaître. « Il y a l’aspect de l’illusion, mais aussi un sens de légèreté. Le fait que les meubles flottent dans l’air donne un sentiment d’inconstance, une très étrange légèreté où l’on ne se sent pas dans la réalité. »

« Une forme de beauté qui n’a pas de forme »


Que signifie danser avec Saburo Teshigawara, considéré comme l’un des plus grands chorégraphes contemporains ? Pour Rihoko Sato, sa danseuse favorite depuis vingt ans, « c’est la recherche perpétuelle de quelque chose qu’on ne connait pas. Le plus je travaille avec lui, le plus cela devient intéressant. » Lors de la création de la compagnie Karas (« corbeau » en japonais), en 1985, le mot d’ordre était de chercher « une nouvelle forme de beauté ». Aujourd’hui, en 2017, Rihoko continue sa quête d’« une forme de beauté qui n’a pas de forme. Une forme qui continue d’apparaître et de disparaître. »

La bande-son de la pièce repose sur le cembalo de Bach, le violon de Schnittke, le Paint It Black des Rolling Stones et les bruitages sauvages. Les danseurs s’y frayent leur chemin en donnant aux mouvements horizontaux la primeur, en hommage au titre, Sleeping Water : « La pièce est tirée par un certain flot, explique Rihoko Sato, avec des courbes centrées sur l’horizontale. Une énergie toujours située entre ce flot et l’air, avec un sens horizontal, ».

Il y a comme un flottement dans l’air, une énergie s’évaporant pour rejoindre les nuages dans le ciel. Est-ce le début ou la fin de quelque chose ? La musique de la fin se contente d’une seule note, mais, comme les costumes noirs, elle nous renvoie la lumière de toutes les couleurs. Sans oublier le rôle décisif du public : « J’ai besoin des spectateurs pour être vu, admet Saburo Teshigawara. L’espace dans lequel nous dansons a été conçu par les techniciens, les danseurs et le public. La force de leur regard fabrique l’énergie de la pièce et ainsi notre art. »


Sleeping Water, chorégraphie de Saburo Teshigawara, le 9 et 10 février au Théâtre des Salins, Martigues.

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