«Amphitryon», une coproduction théâtrale franco-russe

Des comédiens russes dirigés par un metteur en scène français, cela donne un « Amphitryon » de Molière décapant, drôle, que le public moscovite a déjà adopté, en attendant que le public français ne le découvre au mois de mai au Théâtre du Nord à Lille puis au Théâtre Gérard Philippe à Saint Denis. Une coproduction avec l’Atelier Piotr Fomenko à Moscou.

Cette coproduction est née d’une envie de travailler ensemble entre le metteur en scène français Christophe Rauck et les comédiens russes de l’atelier de Pior Fomenko. Ils se découvrent lors de l’année croisée France-Russie en 2010, lorsque Le Mariage de Figaro mis en scène par Christophe Rauck avec la Comédie-Française est représenté à Moscou. Le temps de réfléchir à la pièce qu’ils pourraient monter ensemble, et Christophe Rauck, qui entre-temps est devenu directeur du Théâtre du Nord, est officiellement invité par les « Fomenki », les comédiens du théâtre Fomenko, à créer Amphitryon de Molière, à Moscou, en 2017. La première a eu lieu le 31 janvier. Le projet entre dans le cadre de la coopération culturelle franco-russe avec le soutien de l’Institut français de Moscou.

L’Atelier Piotr Fomenko

Piotr Fomenko est un célèbre metteur en scène, décédé il y a deux ans. Il a créé sa troupe en 1993, mais travaillait déjà depuis quelques années avec un groupe d’étudiants du département de mise en scène de l’Institut d’État d’art théâtral. Il enseignait au Gitis, l’Institut d’État d’art théâtral depuis le début des années 1980, après avoir travaillé à Leningrad pendant 10 ans. Ces mises en scène, non orthodoxes, lui ont valu d’être marginalisé pendant l’époque soviétique. Les années 1990 lui ont donné la possibilité de s’exprimer librement, de travailler avec de jeunes comédiens qui se sont eux-mêmes nommés « les Fomenkis », qui revisitaient les grands classiques.

Depuis 2008, l’Atelier de Piotr Fomenko a élu domicile dans un nouveau bâtiment sur la rive de la Moskova. Après la mort du maitre, ses élèves ont perpétué sa mémoire et continuent à travailler avec son esprit de liberté.

Christophe Rauck et la Russie

Christophe Rauck, qui a notamment travaillé avec Ariane Mnouchkine, et créé sa compagnie au début des années 1990, va suivre en 1998-1999 un stage de mise en scène dirigé par Lev Dodine à Saint-Pétersbourg. Lev Dodine est le directeur du théâtre Maly, dans l’ancienne capitale impériale, un théâtre lui aussi emblématique de la Perestroïka. En 2009, il présente une pièce du dramaturge russe Alexandre Ostrovski. Un dramaturge dont la pièce Loups et Brebis a également été monté par Piotr Fomenko. Les deux metteurs en scène, qui ne sont pas de la même génération, ont décidément des choses en commun. Christophe Rauck fait la connaissance des « Fomenkis » alors que le grand metteur en scène russe est vivant. Sa mort n’atténuera pas le désir de travailler ensemble. L’aboutissement aura été cette création d’Amphitryon de Molière.

Amphitryon, un beau voyage

Christophe Rauck a emmené dans cette aventure plusieurs membres du Théâtre du Nord, la scénographe Aurélie Thomas, la dramaturge Leslie Six, la costumière Coralie Sanvoisin, le créateur sonore Xavier Jacquot et le créateur lumières Olivier Oudiou. Une aventure collective…

« C’est un beau voyage. Ce sont des acteurs que je connaissais, que j’avais vu travailler avec Fomenko,  explique-t-il. Il y avait beaucoup d’envie de faire ce projet. Et je trouvais beau de travailler sur ces deux cultures avec Amphitryon, qui est aussi un voyage dans la France classique du XVIIe. »

La première a eu lieu à Moscou, dans l’Atelier de Piotr Fomenko, le 31 janvier. Pour les comédiens russes, c’est aussi un beau voyage, comme l’explique Poline Koutepova : « Il y a le théâtre français, le théâtre russe, et il y a Molière ! (...) J’ai apprécié la phrase que Christophe répétait souvent : ‘Vous êtes formidables, je ne veux pas vous changer. Mais, moi non plus, je ne peux pas me changer. Alors, rencontrons-nous quelque part au milieu !’ »

Chacun a à apprendre de l’autre. Pour Christophe Rauck, comme pour les Fomenkis, tout est différent, et on finit par se rejoindre : « Ils ont une école très singulière, alors qu’en France, on a un rapport plus empirique avec le jeu de l’acteur. En tout cas, on ne travaille pas de la même manière, » explique le metteur en scène français. Le rapport au temps n’est pas le même. Les acteurs de Piotr Fomenko passent tout d’abord des heures à lire l’œuvre. Et ils répètent beaucoup plus longtemps. La direction d’acteurs est différente. Chacun doit aller vers l’autre, accepter de se remettre en cause.

Le public est aussi beaucoup plus réactif que le public français ce qui n’est pas pour déplaire à Christophe Rauck. La complicité avec le public est plus forte.

Échange entre l’École du Nord et le Gitis

La complicité est suffisamment forte entre Français et Russes pour avoir décidé un échange entre les écoles d’acteurs que sont l’École du Nord et l’Académie russe des arts du théâtre, encore appelée Gitis. 16 élèves de l’école du Nord, 2 élèves auteurs et 14 élèves comédiens ont été en résidence au Gitis, du 5 au 19 novembre 2016. Fondé en 1878, le Gitis est la plus ancienne école de théâtre de Russie. Elle forme à toutes les professions du théâtre, mais surtout à la comédie. Les élèves comédiens de l’École du Nord ont travaillé sur Les Démons de Dostoïevski sous la direction de la comédienne Natalia Nazarova, d’Evgeniy Kamenkovich, directeur artistique du théâtre Fomenko, et du scénographe Dmitry Krymov.

Les élèves ont pu être en contact avec des acteurs de l’Atelier Fomenko, dirigé à cette époque par Christophe Rauck pour Amphytrion.

En retour, 20 élèves du Gitis sont à Lille en ce moment même, du 9 au 24 février. Leur travail porte également sur Les Démons avec notamment le dramaturge André Markowicz. Cet atelier fera l’objet d’une présentation publique au Théâtre du Nord à Lille.

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