Maurizio Cattelan, ou l’art de la gifle

Maurizio Cattelan est un artiste contemporain italien qui sait faire sourire, voire rire jaune par le biais d’œuvres hautement symboliques. A la Monnaie de Paris, il s’expose sous la forme d’une rétrospective en guise d’autoportraits et distribue gentiment quelques claques esthétiques et poétiques à son époque.

Maurizio Cattelan passe en souriant devant ses œuvres ; il retouche et donne quelques ultimes consignes d’installation juste avant le vernissage de son exposition Not afraid of love (Pas peur de l’amour) à la Monnaie de Paris. Puis, constatant qu’à ses côtés, Chiara Parisi, commissaire de l’exposition, évoque son travail devant un micro, Maurizio Cattelan se lance dans une sorte de danse grotesque, saisissant l’espace physiquement à défaut de le faire verbalement (l’artiste italien n’aime pas beaucoup s’exprimer devant les médias). L’humour et la nonchalance restent collées à la peau de cet artiste trublion, éternel provocateur à 56 ans.

Une rétrospective ponctuée d’autoportraits

A la Monnaie de Paris, Maurizio Cattelan sort d’une retraite qu’il avait pourtant proclamée en 2011 au musée Guggenheim de New York. Une retraite mise à mal en 2015 par une vente aux enchères qui remettait cet artiste en pleine lumière, avec un record de vente de près de 17 millions pour Him (2001). Cette sculpture pourrait résumer à elle seule le cheminement, la démarche de Cattelan et surtout toute la puissance de son travail. Him, c’est la vision de dos d’un enfant à genou qui semble prier, à moins qu'il ne soit puni, face à un mur… Comme une poupée laissée dans un coin, au rebut, la forme réaliste (on pense à Ron Mueck) inspire le respect voire un certain recueillement ou de l'empathie. Puis c’est très vite l’effroi ou l'éclat de rire quand, pour mettre fin au suspens, on contourne la sculpture et on découvre... le visage d’Adolf Hitler ! Him c’est « lui » en anglais.

A la Monnaie de Paris, Him est bien là à genou, calé au fond de l’immense couloir qui borde les salons datant du XVIIIe siècle. Mais auparavant, on aura pu observer ce qui s’apparente à une rétrospective ponctuée d’autoportraits.

Maria Parisi a pris le temps d’expliquer la démarche de Maurizio Cattelan, qui préfère demeurer silencieux et s’effacer derrière la force de ses provocations ou piques artistiques ▼ Cliquez pour regarder la vidéo

Des pirouettes qui font mouche comme des gifles bien placées !

Le terme trublion est souvent utilisé à mauvais escient, certes, mais dans le cas de Maurizio Cattelan, il lui colle véritablement à la peau. Maurizio Cattelan est un semeur de troubles qui aime provoquer le désordre délibérément dans le domaine de l’art. Originaire de Padoue en Italie, issu d’un milieu très populaire, Maurizio Cattelan est un véritable autodidacte qui a effectué toutes sortes de métiers (dont un singulier emploi dans une morgue) avant de se faire connaître puis de s'imposer par le biais du design (ses œuvres sont souvent des installations). Il a su devenir une figure incontournable de l’art contemporain avec un sens aigu de la signification directe. Là où parfois l’art contemporain se perd dans les discours, les pirouettes de Maurizio Cattelan sont élégantes, jamais gratuites, et font mouche comme des gifles bien placées !

Trop vite, trop fou, le marché de l’art ?

Les anecdotes autour de l’artiste sont truculentes, comme celle où ne supportant pas la revente d’une de ses œuvres, il a physiquement scotché son galeriste italien au mur. Puis, en France, c’est son marchand d’art qu’il a déguisé en lapin lubrique. Trop rapide, trop fou, le marché de l’art ? Alors, Maurizio Cattelan s’en est amusé et l’a bouleversé. Mais point d’anecdotique ou de superflu dans son travail, les citations sont fortes.

Ci-dessous, un pape en plein effort de l'exercice du pouvoir de spiritualité, terrassé par une météorite (La Nona Ora, 1999)...

Novecento fait référence au film de Bernardo Bertolucci (1976), qui retrace la montée du fascisme italien. Ce cheval suspendu parle du siècle passé et de ses rêves déçus. C’est aussi une image morbide du siècle à venir.

L’étonnante photographe Francesca Woodman sert de modèle pour un christ féminin.

Kaputt (2013) est un cheval sans tête (il y en a cinq dans l’œuvre originale) incrusté dans le mur. On pense au livre homonyme de l’écrivain italien Malaparte (un écrivain avec le même sens de la dérision face à son époque), qui débute par la description ahurissante et poétique de centaines de chevaux de l’artillerie soviétique immobilisés dans un lac gelé et dont seules les têtes émergent de la glace. Janis Kounellis, quant à lui, avait exposé des chevaux vivant dans une galerie.

Charlie don’t surf reflète l’univers de l’enfance triste, de l’échec, pour un Maurizio Cattelan réputé ne pas tenir en place à l'école. Des échos également à l'artiste américain Mike Kelley.

Les gisants, des blocs de marbre inspirés du baroque, soufflent le froid du recueillement face à la mort.

Maurizio Cattelan a tout de même pris le temps de venir discuter après Chiara Parisi. Trop curieux ou amusé ? Il confie : « J’aime quand l’art prend à l’estomac, comme un coup de poing ! » Les rencontres d'Arles ont mis en avant cet été son magazine, ToiletPaper, élaboré éditorialement avec le photographe Pierpaolo Ferrari. L'objet est décrit comme issu « d'un processus de digestion à l'œuvre après une overdose d'images ».

Du papier toilette aux toilettes tout court il n’y a qu’une pirouette artistique à faire. Elle a été réalisée depuis septembre avec des toilettes en or intitulées America et installées dans l'espace toilettes, forcément, du musée Guggenheim de New York. Elles font sensation (les gens font la queue pour aller aux toilettes, donc…) et il ne s’agirait pas uniquement d’un clin d’œil à l’urinoir de Marcel Duchamp, mais plutôt d’une réflexion sur les inégalités sociales. Heuuu, merci Maurizio...

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