Dans le long couloir de la Monnaie de Paris, un violoniste regarde l’activité du quai de Conti par la fenêtre. Surprise ! Qu’est donc venu faire un violoniste dans une exposition d’art contemporain ? Puis en pénétrant dans une salle adjacente, on surprend une ballerine en tutu et chaussons de danse. Le violoniste a suivi nos pas et des notes ont retenti. Comme sortie d’une boite à musique, la ballerine se met à danser devant une toile couverte d'une partition musicale. Sur le côté, des manteaux sont accrochés à des crocs de boucher. Moment de trouble, comme quand le rire peut devenir nerveux devant un acteur qui monologue sur scène, mais aussi de grâce face à l’intention pure et simple. C’est presque cela le travail de Jannis Kounellis, éprouver un embarras devant si peu (un tas de clous, du charbon, de la paille, des rats et du métal) et ressentir la grâce devant une représentation symbolique si forte. On parle d’Arte Povera, art pauvre : quand l’art gêne pour faire avancer, ouvrir l’horizon. Quand la musique s’accorde pour faire vibrer les sensibilités.
« Je viens à Paris les mains vides, comme un vieux peintre »
Le mouvement artistique Arte Povera est presque aussi vieux que les 80 années de Jannis Kounellis. Il en est un des précurseurs. Pour cette exposition il s’est plu à dire : « Je viens à Paris les mains vides, comme un vieux peintre. » Les mains vides, mais pas tout à fait dans les poches, dix tonnes de métal l’ont suivi ! En 1969, douze chevaux présentés par Kounellis dans une galerie bouleversèrent le monde de l’art et firent s’entrechoquer la nature et la culture. Apporter du vivant, de l’humain, de l’énergie vivante est au cœur de son travail. L’Arte Povera avec des matériaux dits pauvres se permet d’en faire de l’art, au sens noble. Pas besoin de dorure, d’effets de style, ni de Photoshop pour toucher la sensibilité ou viser le beau…
Écoutez Chiara Parisi parler du travail de Jannis Kounellis des origines à maintenant :
« L’austérité et le silence »
Nomade volontaire, né en 1936 au Pirée puis étudiant en Italie, Jannis Kounellis ne cherche pas à provoquer. « Il joue plus avec l’austérité et le silence », explique Chiara Parisi, commissaire de l’exposition. On n’est pas non plus dans le ready-made à la Duchamp, même si l’objet semble nu, « il est là pour vivre dans l’espace du lieu et avec l’observateur. » Kounellis explique : « pour comprendre l’Arte Povera, il faut s’interroger sur la question de l’amplitude de l’espace. » « Il en est devenu le bâtisseur, explique Chiara Parisi, et aussi comme Lucio Fontana qui ouvrait les toiles, il crée de l’espace. » L’idée : sortir de l’œuvre, vivre dans l’espace et même vivre l’espace.
« Un acte unique, avec sa propre moralité »
Jannis Kounellis explique : « Une exposition est comme un acte unique, avec sa propre moralité. » La modernité de cet artiste est tranchante. On pourrait presque oublier d’observer une bassine d’eau posée sur une chaise dans la première pièce monumentale. Un couteau, posé en travers et plongeant dans l’eau, semble la diviser. Dans l’eau, deux petits poissons rouges nagent en flirtant constamment avec le fil de la lame. On pense à la représentation du poisson dans la peinture chinoise, mais aussi à la violence de notre société actuelle, à la torture animale. Peu pour exprimer beaucoup, Jannis Kounellis a ce pouvoir.
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Dans la logique de la joie simpleArt pauvre certes, mais point d'abattement point de regard triste. On est constamment plongé dans la logique de la joie simple, de l’invitation à découvrir ou réfléchir, comme peuvent plaire spontanément à l'œil une toile cirée, un comptoir en zinc ou un œuf dur. « L'alignement des verres le long du couloir est une invitation à regarder la rue. Les pointes de la ballerine sont un peu comme les pointes des couteaux » explique Chiara Parisi. Pas de supercherie, ni d’esthétisme gratuit, juste là pour être et donner du sens.