Il en a fait du chemin avant de devenir un maître, l'enfant du bocage normand, marqué par la culture rurale, après avoir vécu ses premières années à la Guadeloupe où son père originaire de ce bout de terre française des Caraïbes était médecin. Fort logiquement, après des études d'histoire à Caen après la guerre, l'agrégation d'histoire en 1959, la route de l'enseignement s'est ouverte devant lui. Il a été professeur au lycée de Limoges puis à l'université de Tours avant d'entrer à la Sorbonne.
Des livres remarqués
Mais parlons plutôt de ses recherches et de ses livres si singuliers. Tout a commencé avec sa thèse de doctorat au titre austère: Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle.
Cette fastidieuse mais passionnante formalité étant accomplie, Alain Corbin a ensuite choisi des chemins de traverse pour nourrir la recherche historique. Il explique pourquoi dans le magazine Idées qui lui est consacré.
Il faut, ici, souligner son désir de s'intéresser à l'intime voire à l'intimité des obscurs, des sans-grades ; à la sexualité notamment durant ce XIXe siècle qu'il aime tant. Et toujours à partir de textes, d'archives étudiées des décennies durant. Cela a donné des livres érudits et terriblement humains sur les prostituées par exemple, (Les Filles de noces, 1978), ou l'odeur (Le Miasme et la jonquille, 1982), ou bien encore les sons de la campagne (Les Cloches de la Terre, 1994).
L'un des livres les plus touchants d'Alain Corbin est sans doute Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot (1998). Il s'agit de la biographie d'un sabotier au sujet duquel il n'y a pas d'archives. Aucune trace...
Au début de ce livre unique, Alain Corbin écrit ceci: « Louis-François Pinagot a existé. L'état civil en témoigne. Il est né le 20 juin 1798 " sur les trois heures du soir ". Il est mort à son domicile, le 31 janvier 1876. Puis il a sombré dans un oubli total. Jamais il n'a pris la parole au nom de ses semblables. Sans doute n'y a-t-il pas même songé ; d'autant qu'il était analphabète. Il n'a été mêlé à aucune affaire d'importance. Il ne figure sur aucun des documents judiciaires qui ont échappé à la destruction. Il n'a jamais fait l'objet d'une surveillance particulière de la part des autorités. Aucun ethnologue n'a observé ses manières de dire ou de faire. En bref, il est bien celui que je cherchais ».
L'histoire à hauteur d'homme
Dans sa longue et passionnante préface du volume de la collection « Bouquins » (qui contient la biographie de ce Louis-François Pinagot sorti du néant), l'historien Pascal Ory note qu'un mot « résume la méthode corbinienne, qui devrait être celui de tout historien digne de l'être, celui d'empathie [...] L'histoire qui en ressort est une histoire sociale des représentations, donc des pratiques qui, quotidiennement, les expriment ».
Dernier sujet en date pour l'historien : le silence. Il « n'est pas seulement absence de bruit », tient à préciser l'historien. L'homme des défis intellectuels n'a pas eu peur de traiter ce thème si peu à la mode désormais dans son livre Histoire du silence. De la Renaissance à nos jours.
Le silence n'a pas toujours été redouté. « Dans le passé, écrit Alain Corbin, les hommes d'Occident goûtaient la profondeur et la saveur du silence. Ils le considéraient comme la condition du recueillement, de l'écoute de soi, de la méditation, de l'oraison, de la rêverie, de la création ; surtout comme le lieu intérieur d'où la parole émerge ».
Selon lui, il est urgent de « réapprendre à faire silence, c'est-à-dire à être soi ».
Après, bien sûr, avoir écouté l'historien sur les ondes de RFI.
Alain Corbin est l'invité du magazine Idées ce dimanche 22 mai 2016 à 15h10 TU.