Spécialiste des questions de philosophie du langage, Françoise Armengaud, normalienne, agrégée et docteur en philosophie s'intéresse désormais à la condition animale. On lui doit Réflexions sur la condition faite aux animaux (2011) ainsi que Requiem pour les bêtes meurtries. Essai sur la poésie animalière engagée (2015). C'est donc peu de dire que cette femme est profondément habitée par son sujet qui n'est pas, pour elle, qu'un thème d'étude mais l'objet d'un combat.
Avec Apprendre à lire l'éternité dans l'oeil des chats ou l'émerveillement causé par les bêtes, Françoise Armengaud a probablement (et je le souhaite pour elle) écrit un livre de référence. C'est en tout cas l'avis d'Elisabeth de Fontenay qui dans la préface assure que « Ce livre fera date, à la fois en tant que bible poétique animalière et en tant que précieux instrument de travail, car il témoigne d'une pensée, mais atteste aussi l'immense culture et l'impeccable érudition de son auteur ».
En ces temps moroses où la détestation tient lieu de maître étalon, il est précieux de lire un plaidoyer pour la beauté et la hauteur d'âme.
Parler d'émerveillement est devenu rare de nos jours. On ne saurait trop remercier Françoise Armengaud qui, dès le début de l'ouvrage, précise sa démarche : « Dans l'émerveillement se concentre et s'illumine pour moi la quintessence de ce que je ressens pour les animaux, à l'égard des bêtes. Si je prends l'émerveillement comme guide et fil conducteur, c'est afin de remercier les animaux, les bêtes, pour leur beauté, leur grâce de bien vouloir exister en dépit de la traque qui leur est menée, pour la joie que leur présence me procure - bien que cette joie soit en permanence endeuillée par le savoir du sort qui leur est trop souvent réservé ». On ne reviendra pas ici sur certaines pratiques dans les abattoirs...
Dans sa « bible poétique animalière », (dans laquelle, avoue-t-elle, « j'ai mis beaucoup de sentiment », reprenant presque la phrase de Paul Léautaud qui disait : « les bêtes sont ce que j'aime le plus au monde »), Françoise Armengaud ne veut pas pour autant paraître naïve.
Etre émerveillé ne veut pas dire être niaise. Sentiment ne signifie pas sentimentalisme.
Avec force poèmes et citations, l'auteur nous dit par exemple que l'émerveillement ne naît pas de l'extraordinaire et elle raconte la joie de Rosa Luxembourg quand celle-ci vit surgir dans sa cellule « un papillon citron tout neuf, étincelant ».
Parmi des centaines de poèmes et de citations, elle reprend aussi quelques vers de l'Anglais William Blake:
Voir un univers dans un grain de sable
Et un paradis dans une fleur sauvage,
Tenir l'infini dans la paume de la main
Et l'éternité dans une heure
Françoise Armengaud nous parle aussi de l'émerveillement de la rencontre avec un animal au détour d'une route, citant cette fois un poète anglais plus contemporain, Ted Hugues :
Pendant quelques secondes
Je m'imagine qu'ils attendent
Que je me souvienne du mot de passe et du signe
Que le rideau s'est soulevé un bref instant
Et que là où les arbres ne sont plus des arbres ni la route une route
Ils sont venus à ma rencontre...
Mais rien ne se passe sinon la fuite des chevreuils:
C'est alors que plongeant à travers la haie, cou très droit, allongeant leurs pattes
Sur la pente de la colline, ils disparaissent au bout d'un champ solitaire enneigé
Des poèmes, des citations, ce beau livre en regorge pour évoquer aussi l'émerveillement que nous éprouvons face aux animaux valeureux et fabuleux. Il souligne également l'énigme qu'est pour nous un animal, l'énigme de la création. François Armengaud écrit : « Au début de son poème " Le crapaud ", Victor Hugo s'interroge: « Que savons-nous ? Qui donc connaît le fond des choses ? »
Il reste à espérer que cet émerveillement profite aussi aux animaux... Françoise Armengaud s'interroge: « Que l'humain tire sa jouissance, la plus inoffensive, de la contemplation des animaux, grand bien lui fasse. Mais la vraie question est: qu'est-ce qu'il en revient, aux animaux, de cet émerveillement ? ».
Ce qui nous pousse à remarquer avec le peintre expressionniste allemand, Franz Marc, « comme elle est petite et dérisoire notre habitude de placer des animaux dans un paysage qui appartient à notre regard, au lieu de pénétrer dans l'âme de l'animal afin d'imaginer comment il voit ».
Au fait, est-il émerveillé, lui, en nous regardant ?
La philosophe Françoise Armengaud est l'invitée du magazine Idées dimanche 1er mai 2016 à 15h10 TU.