«Chronic», entre la fin de vie et les limites de la conscience

Ce vendredi 22 mai, le Festival de Cannes continue sa lancée sur les sujets morbides en lice pour la Palme d’or. Chronic, du Mexicain Michel Franco, est le portrait poignant et oppressant de David, un aide-soignant qui a du mal à trouver la limite entre les sphères privée et professionnelle, entre la vie à respecter et la mort à donner.

« J’ai peur que je devienne totalement dépendant d’elles. » Un cri de cœur lancé par un nouveau patient à David qui va aussitôt apaiser la situation tendue entre ce père et ses filles avec une phrase aussi lucide que simple : « Elles aussi ont peur. »

Spécialisé dans le soin et l’accompagnement de malades en phase terminale, David est plein d’empathie avec ses patients, dont il lave et soigne tous les recoins du corps - des corps de plus en plus défaillants. Sa « clientèle » va de la jeune femme mourante du sida jusqu’au vieux architecte détestant sa famille. Personne d’autre que lui ne connait mieux les préférences, les désirs et les secrets de ces personnes dont il s’en occupe : un livre d’architecture, un geste tendre, un film porno sur iPad… il est toujours là au bon moment pour exaucer les ultimes souhaits avant la mort. Dans Chronic, on se rend compte de son talent fou de se glisser dans l’intimité d’un être humain presque sans qu’on l’aperçoive. Son problème ? Il a du mal à décrocher, traque les galeries de photos de ses patients sur Facebook et chaque fois quand il se retrouve en dehors de son travail, il dérive vers un état dépressif.

Entre Almodovar et Haneke

En 2012, Michael Haneke avait remporté la Palme d’or avec Amour, un huis clos chaleureux et étouffant autour d’un vieux couple dont la femme tombe malade. Haneke y montre la vie sans issue, l’indécence de la dépendance totale, mais aussi l’amour jusqu’à la mort. Quant à Pedro Almodovar, en 2002, il avait déployé dans son film multiprimé Parle avec elle l’histoire très ambigüe d’un infirmier qui aimait une patiente à tel point que ses « soins » finissent en viol « thérapeutique ».

Avec Chronic, son premier film en compétition à Cannes après deux participations dans les sections Un certain regard avec Después de Lucia et La Quinzaine des réalisateurs avec Daniel y Ana, le réalisateur mexicain de 36 ans cherche son salut un peu entre les deux films d’Almodovar et Haneke qui ont fait date. Il y a trois ans, Michel Franco avait lui-même vécu la dépendance totale de sa grand-mère vis-à-vis d’une infirmière qui s’occupait d’elle jusqu’au dernier souffle. Tourné avec une pudeur certaine, malgré la caméra qui tourne des images très près des corps malades qui s'exposent, le film aborde des questions qui restent difficiles et non résolues, même après la séance : jusqu’où peut-on aller dans l’accompagnement des malades vers la mort ? Comment respecter les désirs des patients concernant aussi bien les émotions que la question ultime de l’euthanasie ?

Tim Roth, attachant et ambigu

En amont du tournage, le comédien Tim Roth avait travaillé aux côtés de véritables malades pour incarner avec pertinence cet aide-soignant. Une personne à la fois attachante et ambiguë, compensant dans son travail les échecs de sa vie familiale. Roth, qui a travaillé avec les plus grands du métier, de Quentin Tarantino à Mike Leigh, jusqu’à Woody Allen et Tim Burton, nous montrent dans Chronic de multiples facettes de cet être aussi introverti que ses épaules rentrées et son regard fuyant. Avec une précision impressionnante, il nous fait partager ce travail pénible et en permanence sur le fil de la mort, oscillant entre exigences physiques et psychiques. Reste à constater que le scénario de Chronic lui offre bien moins d’occasions pour mettre en évidence son talent que c’était le cas pour Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant dans Amour.

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