«Dheepan», réfugié en France, la guerre continue

Après son remarquable « De rouille et d’os », il y a trois ans, Jacques Audiard a présenté ce jeudi 21 mai son nouveau film en lice pour la Palme d’or. « Dheepan » nous fait rencontrer un homme, une femme et un enfant qui fuient la guerre civile au Sri Lanka pour se refugier en France. Au lieu du confort et de la sécurité espérés, c’est une nouvelle zone de guerre qui les attend.

L’histoire commence avec un travelling montrant des corps massacrés d’anciens soldats des Tigres de Libération de l’Ilam Tamoul, LTTE. On n'en connaîtra pas beaucoup plus sur cette guerre civile qui touche le Sri Lanka depuis des décennies et qui est à l’origine de la fuite de Dheepan. Persécuté, il est le seul survivant de sa petite famille. Son métier ? La question suscite un mensonge. En tant qu’ancien Tigre de Libération, il n'obtiendrait pas le statut de réfugié en France. Comme lui suggère un militant humanitaire, il donne une réponse d’usage pour arriver à ses fins : journaliste auprès d’une ONG.

Qu’est-ce qui se passe à l’intérieur d’un homme qui vient d’échapper à un massacre dans un pays très éloigné et qui se retrouve sous une fausse identité en France, de surcroît dans une cité pourrie gangrenée par le trafic de drogue ?

Fin connaisseur de la psychologie humaine

Avec « Dheepan », Jacques Audiard se montre encore une fois fin connaisseur de la psychologie humaine. Il nous projette dans les têtes de trois Sri-Lankais, un homme, une femme et un enfant de 11 ans qui n'ont aucun lien familial, mais qui se présentent auprès d’une ONG comme père, mère et fille pour obtenir plus facilement le statut de réfugié en France. C'est alors avec leur fausse identité que leur nouvelle vie en France commence, pays plus subi que choisi. Leur destination favorite, le Royaume-Uni n'est pas accessible.

« Cela signifie quoi Le Près ? » s'interroge cette femme trentenaire visiblement déboussolée par le nom de leur destination. Elle veut savoir où ils vont être logés grâce à leur sésame, leur permis de séjour. Dictionnaire en main, l'homme répond : « prairie », sans avoir le moindre soupçon de ce qui les attend : une cité pourrie et éloignée de tout sauf la drogue. Une zone de guerre à la française, avec des immeubles réquisitionnés pour le trafic et des caïds armés qui font la loi. De leur logement de fonction en tant que concierge, ils observent le ballet des dealers de nuit comme de jour.

Les réflexes d'une survivantes

On saura très peu de choses de la vie antérieure des personnages, si ce n’est par petites bribes à des moments critiques de leur nouvelle existence : « mon école au Sri Lanka a été brûlée par le gouvernement » répond la fille à la directrice. Yalini montre les réflexes d’une survivante quand les dealers s’affrontent et Dheepan se construit un petit autel autour de la photo de sa famille qui n'existe plus.

Tous les trois exilés tiennent leur ancienne vie à distance. Ils ont déjà assez à gérer avec leur vraie identité à cacher et leur fausse identité à assimiler. Car leur avenir passe par cette base fragile, prête à exploser quand le passé ressurgit. Une troisième dimension entre aussi en jeu: les vrais sentiments au sein du faux couple, leurs vraies préoccupations envers leur fille « d’occasion ». Ce sont ces interactions très difficiles à déceler qu’Audiard observe. Tout a changé : la langue, le travail, les codes sociaux, culturels et politiques, mais ils s'adaptent. Le génie d’Audiard ? Réussir l'exploit que tout sonne juste dans ce jeu d’identités qui se met en place. Le dessin d'un avenir sous forme de puzzle. 

Le génie de Jacques Audiard

Quant à la crédibilité du scénario, elle repose en grande partie sur le casting. Connu comme dénicheur de talents (on pense à Reda Kateb ou Tahar Rahim), Jacques Audiard a choisi pour le rôle de Dheepan un véritable ancien enfant soldat du Sri Lanka. Antonythasan Jesuthasan a été enrôlé à l’âge de seize ans par les Tigres de Libération avant de fuir trois ans plus tard son pays via la Thaïlande pour la France. Aujourd’hui, auteur de romans qui traitent de cette question, il a lui-même affronté la difficulté de se détacher de son endoctrinement et de son engagement politique antérieur. Pour l’Indienne Kalieaswari Srinivasan qui interprète avec beaucoup d'empathie le rôle de Yalini, c’est également le premier rôle titre dans une grande production de film. Grâce à eux, on se sent à la fin terriblement proche de ces trois êtres humains.

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