Chapelle, Art et Vidéo

Chapelle Vidéo, un joli titre pour un rendez-vous de l’art vidéo où le silence et la prière des carmélites d’autrefois laissent la place aux images (é)mouvantes d’aujourd’hui. Jusqu’au 28 avril, la sixième édition est consacrée au thème « Chambres à soi ». Un questionnement de l’espace intérieur qui devient un personnage à part entier. Et pour la première fois, l’art vidéo pénètre dans les cellules de l’ancien carmel transformé en musée d’Art et d’Histoire par la ville de Saint-Denis.

Une architecture néo-classique avec un intérieur qui regorge d’images. La Chapelle se donne actuellement l’allure d’un petit Panthéon de l’art vidéo. Dix installations vidéo occupent l’espace et déploient leurs messages, les images à l’appui : l’intérieur est aussi bien en dehors de nous qu’en nous.

Art vidéo ou sacrilège

Une exposition d’art vidéo dans une chapelle. Sacre de l’art vidéo ou sacrilège ? « Chapelle Vidéo, c’est un prolongement de cette idée du sacré, répond Nathalie Lafforgue, la commissaire de l’exposition. Un prolongement de cette idée d’avoir un temps pour soi, un espace à soi qui soient coupés du monde et qui permettent de mieux revenir dans le monde qui nous entoure. » Dans Réveils, de Pierrick Sorin, c’est la sonnette du réveil qui déclenche la vidéo et nous exhibe son intimité matinale au lit. Une œuvre avant-garde de 1988. Derrière la gueule de bois de l’artiste se cache une lucidité stupéfiante et une vision percutante sur l’observation et le contrôle total dans lequel on se trouve à l’heure actuelle. « Ce qui est remarquable, poursuit Lathalie Lafforgue, c’est que l’outil vidéo va permettre à des artistes qui viennent du champ de l’art contemporain de se saisir de l’image en mouvement, de l’image qu’on peut « facilement » réaliser dans l’espace domestique, dans son chez soi. En ce sens, cet outil va favoriser l’introspection, la mise en image de son intérieur et de son chez soi. »

Plus personne ne trouve la sortie

Dès les années 1970, les vidéastes commencent à jouer avec ces personnages qui se heurtent toujours à leur espace domestique. L’Américain Michael Smith dénoncé la perversion de l’homme par les séries télévisées et les médias. Dans Mick (1987), il adore se ridiculiser soi-même en prenant la pose tout en déclamant sa vérité sur un ton burlesque : « C’est le premier jour du reste de ma vie. » Seule œuvre située dans une cellule de l’ancien carmel, François Durif s’envoie balader dans le labyrinthe de sa résidence artistique. Désespéré par le nombre de portes à fermer, il a au moins trouvé un titre, Trop de clefs (2012), qui va comme un gant pour décrire notre espace intérieur à l’ère digitale, synonyme d’un monde saturé d’informations où plus personne ne trouve la sortie.

Comme le docteur Frankenstein, la Coréenne Oh Eun Lee fait naître son monstre aimé : A Room (2008) désigne une chambre numérique créée de toutes pièces. Dans une atmosphère aseptisée apparaîtront des questions intimes suscitées par un homme mystérieux.

Une maison, phare urbain

Et la lumière fut. Les artistes brésiliens Angela Detanico et Rafael Lain ont transformé une maison vide à Noisy-le-Sec en phare urbain. The Lighthouse (2008) envoie la lumière de l’intérieur de la maison vers l’extérieur. L’imitation du geste utile se transforme en questionnement poétique et philosophique. Quelle lumière naît en nous ? Et quel signe souhaitons-nous envoyer à l’extérieur ?

Dans Les Choses en soi, l’Italien Saverio Lucariello prône l’érotisation de l’objet quotidien quand il caresse une bassine d’eau ou fait sa déclaration d’amour à une corbeille à linge. En même temps, il montre les émotions qui tournent au vide et les êtres humains qui s’avèrent irremplaçables.

Comme notre histoire se construit à notre intérieur et à l’intérieur d’une maison, voilà ce que raconte l’artiste plasticienne Hélène Agofroy dans Arrangements, son film vidéo en couleur et son de 23 minutes. Elle « sculpte » l’intérieur physique et psychologique de cette maison à partir des vestiges du passé. Une maison qui a traversé un siècle et vécu l’Histoire et des histoires tragiques et ludiques. «  L’histoire que je raconte n’est pas forcément une histoire vraie, mais c’est une histoire qui est composée de ce qu’on m’a raconté et de ce que j’en fais. »

Est-ce que la technologie de l’art vidéo a changé la réflexion éternelle sur l’intérieur de l’homme, sur cette chambre à soi ? « Non, affirme la commissaire Nathalie Lafforgue, mais la technologie permet une fluidité, une facilité dans le passage à l’acte de la création. »

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Chambres à soi, exposition dans le cadre de Chapelle Vidéo #6, du 13 mars au 28 avril au musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis.

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