Trois questions au vidéaste Bill Viola sur sa «force créative»

C’est sa première rétrospective en France et la première exposition où son œuvre apparaît avec une telle densité. A partir de ce mercredi 5 mars, Bill Viola, l’un des plus grands artistes vivants, célèbre son art vidéo au Grand Palais avec une vingtaine d’installations sur 50 écrans. Plongée dans l’obscurité presque totale, la scénographie y est millimétrée au service d’une puissance visuelle rarement atteinte. Entretien avec ce génie né en 1951 à New York, « en même temps que la vidéo », et qui a failli se noyer à l’âge de six ans. Il a gardé de cet accident de « très belles images de plantes merveilleuses ».

Votre manière de travailler a-t-elle changé entre The Reflecting Pool (1977) et The Dreamers (2013), la plus ancienne et la plus récente œuvre que vous montrez au Grand Palais à Paris?

Quand vous entrez dans l’exposition, la première pièce que vous voyez est Reflecting Pool. Ce n’était pas la toute première, mais elle figure dans la groupe des premières pièces que j’avais réalisées. C’était déjà une expression artistique de mon expérience où j’ai failli me noyer. Pour cela il y a tellement des gens qui me voient -jusque dans les œuvres récentes- connecté à l’eau. Il y a une vérité dans cela. Même l’électricité qui passe par des câbles est une forme de courant comme l’eau. C’est une énergie, une force qui est constamment en train de vibrer à l’intérieur et à l’extérieur de nous. C’est cela qui nous connecte et qui semble être vivant. C’est quelque chose de très spécial.

Depuis vos débuts dans les années 1970, on vous appelle un « artiste vidéaste ». Avec l’émergence de nouvelles technologies, l’internet, le 3D, le laser etc., comment vous définiriez-vous et votre travail aujourd’hui ?

Aujourd’hui, les choses changent. Tout bouge actuellement. Je pense qu’on vit dans une époque très créative. J’utilise la vidéo depuis très longtemps. Au début, j’étais l’un parmi ceux qui ont contribué à créer ce médium pour insuffler de nouvelles choses et de nouvelles idées dans l’art. Mais aujourd’hui, nous vivons une époque incroyable, parce que le monde entier est devenu une sphère unique. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité. Nous avons la possibilité d’accéder à toutes les choses qui nous entourent 24 heures par jour et pendant sept jours dans la semaine. Tout bouge, tout tourne, tout existe aujourd’hui en cycles. Cela génère une sorte de force créative. Cela nous oblige à penser comment nous voulons vraiment vivre dans ce monde.

Avec Peter Sellars, vous contribuez avec vos vidéos aussi à la mise en scène de Tristan et Isolde qui sera à partir du 8 avril de nouveau à l’affiche de l’Opéra national de Bastille. Que cherchez-vous ou plutôt trouvez-vous dans l’opéra ?

C’était fantastique de contribuer à cet opéra [la première avait lieu en 2005, ndlr]. Avant, je ne m’intéressais absolument pas à l’opéra, contrairement à ma femme qui l’a toujours adoré. Et puis Gérard Mortier [directeur de l’Opéra national de Paris jusqu’en 2009, ndlr] m’a demandé de m’investir avec mon travail dans Tristan et Isolde. Il était curieux de savoir ce qui se passera quand on introduit la vidéo dans ce contexte. A l’époque, je ne réalisais pas à quel point cela était choquant pour beaucoup de gens ! Je ne l’oublierai jamais : quand le rideau s’est levé pour la première fois, les gens commençaient à huer après le premier acte [rires]. Les Wagnériens purs et durs étaient vraiment très en colère [rires] ! C’était incroyable. En même temps, d’autres gens ont repéré cette nouvelle manière de voir et d’avoir une image qui bouge sur scène. Et regardez ce qui se passe aujourd’hui. Cela est devenu complètement normal. Tout le monde le fait maintenant.

→ Lire aussi : Bill Viola, la radicalité d’une œuvre

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Bill Viola, rétrospective au Grand Palais à Paris, du 5 mars au 21 juillet.

 

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