Depuis mercredi soir, 19 mai 2010, la capitale vit sous un régime de loi martiale non déclarée. Les soldats ont pris le contrôle du centre-ville. Ils poursuivent leur traque des éventuels militants en armes cachés dans les immeubles de la capitale. Avec les ruines fumantes de ses bâtiments incendiés, Bangkok témoigne de l’intensité de la tension de ces dernières heures. Le couvre-feu nocturne a été reconduit pour trois nuits. Les manifestants sont en voie d’évacuation vers leur région d’origine. L’armée, principal artisan de la restauration de l’ordre, est au cœur de tous les ressentiments.
Le sang a coulé abondamment au cours de ces dernières semaines et c’est un sentiment de divorce et de trahison qui s’exprime chez les opposants au lendemain de cette épreuve de force. Jeudi 20 mai, selon les témoignages qui nous parvenaient de Thaïlande, Bangkok était une ville en état de sidération. La capitale thaïlandaise a été placée sous le régime de l’état d’urgence, ainsi que 23 provinces du pays sur un total de 76.
Contagion provinciale
Sur le plan politique, il règne à la fois une ambiance de coup d’Etat militaire et d’atmosphère prérévolutionnaire. Au pays du sourire, le consensus est rompu. Le pays semble aujourd’hui avoir franchi un point de non-retour après s’être enfoncé trop loin dans une crise que ses autorités n’ont pas été capables de maîtriser. Défaut d’analyse, sous-évaluation des menaces, incapacité d’imagination ? L’examen et le traitement des causes profondes de cette crise semblent avoir été sous-estimés. Et le pays donne le sentiment de s’enfoncer dans une crise de confiance profonde, totale, insurmontable entre ses différentes composantes.
En dépit de l’état d’urgence, le porte-parole de l’armée indique que des manifestations de protestation et de soutien aux opposants ont eu lieu mercredi soir dans une vingtaine de provinces bastions des « chemises rouges » et quatre sièges de gouvernement régionaux ont été incendiés.
La violence devient la norme
Pour les militants du mouvement des « chemises rouges » qui s’en retournent chez eux à l’issue de l’épreuve, c’est la fin d’un épisode qui se termine de façon tragique. Outre la brutalité de la répression endurée, ils n’ont pas été entendus et ont échoué à faire progresser leurs idées. Mais la plupart des spécialistes et observateurs considèrent que la situation n’en restera pas là. Entre les « rouges », essentiellement issus des couches urbaines défavorisées et de la paysannerie, et les « jaunes », membres de l’élite dirigeante et conservatrice, le fossé s’est transformé en abîme. Et, après les très graves événements de ces dernières semaines, il n’est pas sûr que ces opposants entendent les appels au calme lancés par leurs propres leaders. Les proportions prises par ce mouvement, depuis le coup d’Etat militaire de 2006, indiquent une rupture et une entrée du pays dans un nouveau cycle politique marqué par l’affrontement (devenu la norme) plutôt que le consensus jusqu’à présent recherché.
Reste que nombre de chercheurs estiment que ce mouvement de protestation manque encore de relais politiques formels clairement identifiés qui pourraient le conduire à trouver une place et une légitimité incontestables au sein de la vie politique thaïlandaise. Il n’est pas sûr non plus que l’ancien Premier ministre en exil Thaksin Shinawatra continue d’incarner longtemps une alternative crédible. Il circule à Paris l’information qu’il aurait été photographié dans une boutique de luxe de l’avenue des Champs-Elysées au moment où ses partisans subissaient l’assaut de l’armée.