En Louisiane, la marée noire plonge les pêcheurs dans l’angoisse

Les habitants de Venice, en Louisiane, commencent à s’impatienter. Les premières galettes de fioul, annoncées pour la semaine dernière, n’ont toujours pas touché les côtes. Les pêcheurs ont néanmoins interdiction de sortir en mer. L’attente devient de plus en plus insupportable pour ces marins, près de deux semaines après l’accident survenu sur la plateforme pétrolière Deepwater Horizon, exploitée par BP au large du delta du Mississipi.

De notre envoyée spéciale à Venice,

Eric Drury est un jeune pêcheur de Venice que tout le monde ici appelle « Peanut » (cacahuète). Ce marin massif, « sur l’eau depuis quatre génération », appose la dernière couche de peinture à la balustrade de son chalutier flambant neuf. Son bateau est contraint de rester au port depuis plusieurs jours en raison de l’interdiction de pêche.

« Le problème, c’est que les pêcheurs ne voient pas le mazout arriver, or, vous savez, quelque chose que l’on ne voit pas, on a tendance à l’oublier ! », explique-t-il. Eric rejette pourtant les assertions des journalistes de télévisions locales, selon lesquelles la « Louisiane pourrait finalement être épargnée » en raison des courants marins qui poussent la nappe vers la Floride. « Moi, je suis sûr que l’on va la récupérer cette marée noire, la seule question c’est quand ? », affirme-t-il.

A ce jour, la nappe de fioul n’est visible que par hélicoptère. Elle se trouve en effet à une trentaine de kilomètres du rivage. Mais s’étend sur une superficie de plus de 20 000 km². Les ravages qu’elle fait sous l’eau inquiètent aussi les habitants de Venice. « Des milliers de litres de pétrole s’échappent chaque jour des fuites et polluent les fonds marins, affirme Chris Herndon, un autre pêcheur de Venice. Cela tue les poissons, les crustacés et toute la faune sous-marine ! »

Chris Herndon, comme la plupart des pêcheurs du coin, est né ici, en Louisiane. Il se dit très inquiet pour son futur en tant que marin. « Vous savez, moi je ne sais faire que ça, pêcher. Alors si ça n’est plus possible, qu’est-ce que je vais faire ? »

Une interminable attente

Confortablement avachi sur son canapé en cuir, Ray Schmidt regarde en boucle les reportages des télévisions locales, à la recherche du moindre élément nouveau. Le visage buriné par le soleil, Ray, 57 ans, peine à déplacer sa carcasse de plus de 200 kg. Il semble au bout du rouleau : « En 2005, j’ai tout perdu avec Katrina, ma maison a été détruite. Et là, cinq ans après, on veut me prendre mon job ! Non, ça n’est pas possible… » Ray est pêcheur. Et malgré l’interdiction gouvernementale de pêcher au large des côtes de Venice, son frère et lui continuent chaque jour de prendre quelques poissons. Pour leur consommation personnelle.

Depuis un an, les deux frères s’occupent aussi de la gestion d’un luxueux complexe hôtelier dédié aux activités de pêche sportive. Leur lodge, construit sur pilotis dans la plus pure tradition architecturale de la Louisiane, se trouve à une vingtaine de kilomètres au nord de Venice. « Notre but avec ce lodge était d’accueillir des passionnés de pêches en vacances. Mais là, actuellement, en raison de la marée noire, tous nos clients se sont décommandés et nous n’hébergeons que des journalistes », déplore Mike, le frère de Ray. « Tant mieux pour notre business que la presse ait trouvé refuge chez nous, admet Jason, le neveu de Ray. Mais ce n’est pas du tout dans cet esprit que nous avons construit cet endroit ! Nous voulons pêcher, nous voulons prendre du bon temps avec les clients ! La presse nous aide à survivre en ce moment, mais je préfèrerais qu’il en soit autrement, vous savez ! »

« Le pire, c’est qu’on ne sait pas ce qui va nous arriver ! »

« Ce qui me tue le plus, c’est que l’on ne sait rien », se lamente Ray Schmidt. Depuis la terrasse de son logde, la vue sur le Fleuve Mississipi est imprenable. Les cargos et supertankers remplis de mazout ne passent qu’à quelques dizaines de mètres de là et ressemblent à des immeubles en mouvement. « Lorsque nous avons investi pour reprendre ce lodge l’an passé, nous avons envisagé toutes les catastrophes possibles et imaginables, mais nous n’avons jamais pensé à une marée noire, souffle Ray, calé au fond de son rocking-chair. Les cargos, je les vois tous les jours depuis que je suis né ! Pour moi, ils ne représentaient pas un danger particulier »

A Venice, il n’y a que deux sortes d’activité : la pêche et le pétrole. Tout le monde ici compte au moins un membre de sa famille embauché par le secteur pétrolier. Une proximité quotidienne qui explique aussi l’attitude assez peu critique des pêcheurs à l’égard de BP. « Vous savez, je ne veux pas leur jeter la pierre, confirme ainsi Chris Herndon, le jeune pêcheur. Les compagnies pétrolières font vivre pas mal de monde ici. Alors certes, il y a eu un accident, un accident grave, et BP doit assumer ses responsabilités. Mais de là à blâmer les pétroliers et à exiger l’arrêt de leurs activités off shore, ça non ! », s’exclame-t-il, un léger sourire au coin lèvres.

Selon les dernières estimations fournies par la compagnie britannique BP, 800 000 litres de pétrole continuent de s’échapper chaque jour via les fuites sous-marines. Des fuites situées à 1,5 km en dessous du niveau de la mer. Le géant pétrolier multiplie ces derniers jours les déclarations de bonnes intentions, pour tenter de contenir la grogne. BP a ainsi annoncé qu’elle allait commencer cette semaine à installer des couvercles sous-marins sur les fuites. Un procédé technologique jamais testé à une telle profondeur et qui laisse les marins de Venice sceptiques. « Je n’espère qu’une chose, c’est que cela marche et que je puisse retourner à mes crevettes, lâche Eric, alias « Peanut ». Mais à une telle profondeur, qui sait ce qui peut se passer ? Encore une fois, on ne sait rien, on ne sait rien ».

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