On en parle peu dans le monde, mais une guerre civile larvée dure depuis de longs mois dans le Caucase du Nord, et particulièrement au Daguestan. Pratiquement pas une semaine ne s’y passe sans attentats, dirigés principalement contre l’armée et la police russes. En janvier, une bombe a tué six policiers et en a blessé une trentaine d’autres, mais la presse mondiale ne l’a même pas remarqué.
« Nombreuses opérations en préparation »
La fin de la guerre en Tchétchénie, annoncée triomphalement à Moscou, n’a pas apporté de baisse significative de la tension dans la région. Le site internet kavkazcenter.com, proche des islamistes radicaux caucasiens, affiche les portraits des onze « émirs » locaux et menace depuis longtemps non seulement d’exporter le Djihad sur tout le territoire de la Russie, mais aussi de frapper sa population civile. Une « Choura » (équivalent d’un conseil des sages ou d’un parlement local) de « l’Emirat du Caucase », tenue au printemps 2009, aurait « pris la décision de déplacer la guerre de sabotage sur le territoire de la Russie, parallèlement à un renforcement des frappes contre les infrastructures des occupants dans le Caucase ».
Au mois d’août de la même année, un commando « Rïadous-Salikhiïn » signe un communiqué annonçant que « de nombreuses opérations sont en préparation » et les moudjahidines feront tout pour que « le Djihad s’épanouisse encore plus activement sur le territoire de la Russie afin de saper son économie et priver la Russie de la possibilité de se servir du Caucase comme de sa base en matières premières ». Le texte menace également de frapper la population civile russe : « Nous avertissons le gouvernement de la Russie que si les meurtres de musulmans pacifiques de l’Emirat du Caucase n’arrêtent pas et s’il n’est pas mis un terme à l’activité des escadrons de la mort, nous nous réserverons le droit de mener des opérations armées adéquates contre la société civile en Russie ».
Fin novembre 2009, « l’Etat-major des Forces Armées de l’Emirat du Caucase » revendiquait l’attentat contre l’express « Nevski » entre Moscou et St. Petersbourg. Celui-ci était peut-être la première illustration de la stratégie annoncée par les rebelles caucasiens. L’opération dans le métro de Moscou en est peut-être une autre, mais il faut attendre une éventuelle revendication des attentats pour pouvoir se prononcer.
La politique sécuritaire mise en cause
En tout état de cause, les explosions du 30 mars mettent sérieusement en cause l’efficacité de la politique sécuritaire des autorités russes. Le mode opératoire appliqué dans le métro moscovite peut témoigner de l’existence, à Moscou même, d’un réseau « dormant » capable d’organiser des opérations armées au cœur de la capitale russe. En effet, pour mener une action pareille, il faut – outre les exécutants – une logistique efficace, ainsi qu’une longue préparation exigeant une bonne connaissance et une attentive surveillance des lieux. Les exécutantes devaient très probablement frapper deux lieux symboliques pour les services spéciaux russes particulièrement haïs par les rebelles caucasiens, mais le plan n’a apparemment marché qu’à moitié. En effet, la station du premier attentat, « Loubianka », porte le nom du siège du FSB (ex-KGB) tout proche. La deuxième station visée était probablement « Oktiabrskaïa », où se trouve le ministère de l’Intérieur, mais la terroriste – au lieu de prendre une correspondance à la station voisine de « Park Koultoury » - y a actionné son engin explosif. C’est du moins une hypothèse émise par un ancien chef du FSB, actuellement député à la Douma, Nikolaï Kovalev.
La grande question est maintenant de savoir que feront les dirigeants russes après un tel désaveu de leur stratégie antiterroriste. Quelques heures après les attentats dans le métro de Moscou, le Premier ministre Vladimir Poutine a tenu à rassurer la population, en promettant d’« anéantir » les terroristes, de sécuriser les transports en commun de la capitale, et même de convaincre les commerçants de ne pas profiter de l’occasion pour augmenter les prix. « Les organes de justice et de sécurité, a-t-il dit, feront tout pour trouver et punir les criminels. Les terroristes seront anéantis ». Facile à dire, beaucoup plus difficile à faire. Parmi les experts et dans les médias à Moscou, on commence à entendre des interrogations sur l’efficacité de l’interminable démonstration et application de force considérées comme les seuls moyens de remédier au séparatisme et à l’islamisme dans le Caucase. On entend même parler d’un possible « traitement social » du problème.
Au Kremlin, la tentation sera sans doute grande d’utiliser le prétexte des attentats pour rendre le pouvoir encore plus autoritaire et encore plus centralisé, voire d’en profiter pour détourner l’attention de l’opinion publique de graves problèmes économiques qui guettent le pays. Il devient toutefois de plus en plus évident que cette politique atteint clairement ses limites.