« Ma visite a pour objectif d'ancrer notre relation dans la durée et de lui permettre de franchir une étape supplémentaire », indique le Premier ministre français,
François Fillon, en entamant sa visite de deux jours à Damas en compagnie des ministres de l'Economie, Christine Lagarde, et de la Culture, Frédéric Mitterrand. Le voyage sera l’occasion pour ce dernier de redécouvrir les très riches sites archéologiques de la Syrie mais aussi de signer un accord pour la construction d'un réseau de musées. Un volet culturel à retombées économiques pour une visite aux enjeux essentiellement économiques comme en témoigne la présence dans la délégation française de représentants des poids lourds que sont le pétrolier Total, le bâtisseur Bouygues, le spécialistes du nucléaire Areva, ou encore l’équipementier Alstom et le constructeur aéronautique, EADS.
Si après leur réchauffement politico-diplomatique, Paris et Damas songent en effet aussi à réaccorder leurs violons culturels, la mission de François Fillon est surtout de concrétiser une série de grands contrats encore en souffrance ou programmés à des horizons plutôt lointain. Ainsi en est-il du projet de métro damascène annoncé en 2008 par les autorités syriennes mais programmé pour 2016 seulement. En revanche, selon les services du Premier ministre français, Damas devrait conclure l’achat de deux avions de transport régional, des ATR de fabrication franco-italienne, pour un montant de quelque 27 millions d’euros. Le protocole d'accord pour la vente de 14 Airbus à la compagnie Syrian Arab Airlines, conclu en 2008, devrait être également prorogé en attendant que Washington lève l’embargo sur la vente d’avions à la Syrie qui retarde la livraison des appareils.
Un bon point de la Coface
Depuis 2009, la notation risque-crédit de la Syrie a pourtant été relevée par l'assureur français Coface. Mais d’autres obstacles continuent d’entraver cette volonté de développer un commerce bilatéral somnolent puisque la France stagne au quinzième rang des fournisseurs de la Syrie dont elle constitue le 14e investisseur étranger. Les entrepreneurs français devront donc rivaliser d’arguments s’ils veulent par exemple enlever le marché de la nouvelle aérogare de la capitale syrienne où celui des centrales solaires qui pourraient répondre aux besoins énergétiques constants de Damas.
« Le désir de la France est de renforcer ses liens avec la Syrie et de la voir jouer un rôle toujours plus constructif au service de la stabilité et de la paix au Proche-Orient », assure François Fillon en soulignant que la France « est l'amie à la fois de la Syrie et d'Israël ». Des propos de circonstances dans un pays stratégique, en particulier pour l’autre allié important de la France, le Liban. Le Premier ministre libanais, Saad Hariri, le fils du défunt Rafic, a d’ailleurs dû payer de sa personne pour renouer avec le pouvoir alaouite de la famille Assad même s’il revendique comme une victoire de son camp le retrait militaire syrien du pays du Cèdre en 2005. En décembre dernier, la visite de Saad Hariri a succédé à un échange d’ambassadeurs, une normalisation voulue par les soutiens occidentaux et saoudiens de la coalition gouvernementale du Liban.
Paris, Washington et Ryad font cause commune à Damas
A Damas, Saad Hariri avait expliqué que « le roi Abdallah d’Arabie saoudite a pris l’initiative de cette réconciliation ». Ryad partage avec Washington et Paris l’idée qu’il serait plus profitable de tenter de détacher le pouvoir Assad du Hezbollah libanais mais aussi et surtout du régime islamique de l’Iran chiite, la bête noire nucléarisée de l’Occident. Dans cette perspective, l’administration Obama vient de nommer (le 16 février), un ambassadeur en Syrie, Robert Ford, ce qui met fin à cinq années de vacance diplomatique. De son côté, après un entretien avec le président syrien en juin dernier, le missi dominici de Barack Obama au Moyen-Orient, George Mitchell, avait assuré que la Syrie « a un important rôle à jouer » pour la paix dans la région.
Le nouveau message international à l’endroit de la Syrie tourne d’une certaine manière les pages sombres de ses relations extérieures, celles qui ont vu par exemple les Etats-Unis accuser Damas de complaisance à l’égard des combattants étrangers entrés en Irak pour combatte les troupes américaines, ou encore les suspicions de complicité nucléaire avec la Corée du Nord qui se sont « soldées » en 2007 par un raid israélien contre un site nucléaire supposé à l’Est de la Syrie, et bien sûr l’assassinat d’Hariri imputé jusqu’ici à voix de stentor à Damas. Depuis, et en particulier en 2007, avant l’avènement d’un gouvernement d’extrême-droite dans l’Etat hébreu, la Turquie voisine s’est érigée en médiateur entre Israël et Damas.
Damas en équilibre sur le fil du rasoir régional
La Syrie n’a de cesse d’invoquer l’occupation israélienne du Golan syrien pour s’afficher en héraut du monde arabo-musulman. Mais en même temps, elle a pu mesurer à quel point les crispations trop grandes la desservait. En revanche, avec la Turquie par exemple, la perspective d’un train régional ou d’une zone franche ainsi que les autres échanges de bons procédés économique décidés au plan bilatéral font espérer à la Syrie un désenclavement de bon aloi pour son économie jusqu’ici sous assistance respiratoire iranienne. Damas ne peut pas non plus négliger la levée des obstacles qui freinaient la circulation des marchandises (déclarées ou non) par-dessus les frontières libanaises. Voir se multiplier ses courtisans économiques n’est pas non plus pour lui déplaire. Mais rien n’indique que la Syrie de Bachar al-Assad ait les moyens sinon la volonté de changer véritablement de camp. Tout au plus va-t-elle s’efforcer d’afficher des distances équidistantes, sur le fil du rasoir régional.
Le 20 février, François Fillon est attendu dans la soirée à Amman, en Jordanie, où les investisseurs français devraient être à la fête, en particulier Areva qui attache beaucoup de prix à la diversification de ses fournisseurs d’uranium. Après le Niger en proie à des turbulences, qui ne sont pas sans relations avec cette ressource stratégique, Areva doit en effet signer en Jordanie un contrat pour l'exploitation d'une mine d'uranium. Enfin, malgré les rebuffades essuyées il y a peu dans le Golfe au profit des Sud-Coréens, le géant nucléaire français ne désespère pas de voir sa candidature retenue pour la construction de deux centrales dans la région d'Aqaba, un marché de « plusieurs milliards d'euros ».