Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad l’avait annoncé dimanche dernier après avoir très longuement joué des nerfs des Occidentaux. Et ce 9 février, le démarrage de la production d’uranium enrichi à 20% constitue une fin de non-recevoir opposée à la solution de compromis que l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, avait avancée le 21 octobre dernier à Vienne. Pour garantir la transparence nucléaire de la République islamique soupçonnée de vouloir se doter de l’arme atomique, l’Iran s’était en effet vu proposer de sous-traiter à l’étranger l’enrichissement du minerai nécessaire à sa centrale de recherche médicale de Téhéran. Il devait ainsi faire transiter à l’extérieur les deux-tiers de son stock d’uranium faiblement enrichi à 3,5% (estimé à quelque 1 800 kg). Mahmoud Ahmadinejad résiste en sachant que Pékin s’oppose au renforcement des sanctions demandé par Washington et Paris.
Le directeur de l'organisation iranienne de l'énergie atomique, Ali Akbar Salehi, a fait assaut de transparence en assurant que les opérations d’enrichissement se déroulent en présence d’inspecteurs de l’AIEA. Pour le moment, ajoute-t-il, la « cascade de 164 centrifugeuses » installée sur le site de Natanz, au centre du pays, « est davantage à l’échelle d’un laboratoire » qu’aux dimensions d’une usine. L’installation devrait toutefois « produire chaque mois 3 à 5 kilos d’uranium enrichi à 20%, soit deux fois plus qu’il n’en faut pour le réacteur de recherche de Téhéran ». Celui-ci utilisait, jusqu’à récemment, du combustible acheté au Brésil, dans les années quatre-vingt-dix, au temps où l’Iran n’était pas frappé par des sanctions internationales. En panne depuis août dernier, Téhéran avait saisi l’AIEA pour l’alimentation de son programme de recherches médicales, sous surveillance internationale.
La ligne rouge de la non-prolifération est franchie
Après avoir renvoyé la balle dans le camp de ses adversaires accusés de « faire attendre les malades iraniens » et de tergiverser depuis la réunion de Vienne, la République islamique vient de franchir une ligne rouge de la non-prolifération nucléaire. Jusqu’à présent en effet, l’Iran produisait seulement de l’uranium faiblement enrichi à 3,5%, en dessous de la limite du 5% conventionnellement fixée pour le nucléaire civil. L’arme atomique exige pour sa part un minerai enrichi à 85-90%. Entre ces deux pôles, avec le passage au 20%, l’Iran reste dans les clous de la légalité internationale, et Mahmoud Ahmadinejad ne manque jamais une occasion de se réclamer de son bon droit souverain, mais le processus d'enrichissement est exponentiel et non linéaire.
En matière d’enrichissement, il est beaucoup plus facile d’aller de 20% à 90% que de 3,5% à 20%, comme Téhéran assure pouvoir désormais le faire. Le risque de voir l’Iran progresser rapidement sur la voie de l’arme atomique n’a jamais été aussi grand depuis la reprise de ses activités nucléaires en 2005, l’annonce de son premier enrichissement d’uranium de 3,5 à 4, 8% en 2006 et celle de la mise en service de 6 000 centrifugeuses en 2008. Depuis lors, sa capacité pourrait être de 50 000 centrifugeuses. Mais ce sont bien évidemment surtout la stratégie du secret ainsi que les postures idéologiques et diplomatiques du régime qui alimentent les craintes régionales et internationales.
Propositions contradictoires
Depuis sa réélection contestée en juin 2009, le président Ahmadinejad a plus que jamais fait usage interne du dossier nucléaire. Il s’en sert pour afficher sa détermination, faisant foin des critiques d’une opposition qui souhaitait le retour de l’Iran dans le giron international. Au plan diplomatique, il a alterné les déclarations et les propositions les plus contradictoires pour franchir fin 2009 la date butoir que les Occidentaux lui avaient fixée pour rendre sa réponse à leur offre de Vienne. Comme à son habitude, Mahmoud Ahmadinejad s’est employé à retourner la charge à l’envoyeur, assurant qu’il « laisse la porte ouverte pour un échange de combustible avec les grandes puissances », à ses propres conditions bien sûr. Pour sa part, il semble supposer que ses principaux adversaires ont de la patience en réserve, à moins qu’il ne parie sur leur impuissance.
La République islamique accompagne sa démonstration nucléaire de gesticulations militaires, à l’intention d’Israël en particulier, objet de provocations constantes du président Ahmadinejad qui vient encore de prophétiser son effacement de la carte moyen-orientale. Fort de la répugnance chinoise à voter des sanctions contre l’Iran, Mahmoud Ahmadinejad essaie de ramener Moscou à de meilleurs sentiments à son égard. La Russie pouvait toutefois difficilement se désolidariser du large tollé soulevé par le nouveau défi iranien. D’autant que Moscou offrait justement de procéder à cet enrichissement à 20% que l’AIEA voulait pouvoir contrôler hors d’Iran, la France proposant de finaliser la production des barres de combustibles.
Gesticulations militaires
Lundi, le ministre iranien de la Défense, le général Vahidi a inauguré deux lignes de fabrication de « drones capables de mener des opérations de surveillance, de détection et même d’attaque avec une grande précision ». Il a aussi annoncé la fabrication d’un « système anti-missile de même capacité ou même plus puissant que le système S-300 » russe que Moscou n’aurait pas livré six mois plus tôt en raison de « pressions sionistes ». De son côté, la Russie souligne aujourd’hui le risque de conflit régional soulevé par l’attitude iranienne tandis qu’Israël affiche sa détermination militaire, appelant en particulier les Américains à sévir.
Le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, Ygal Palmor préconise notamment « une interdiction d'exportation vers l'Iran des composants électriques ou électroniques qui peuvent être utilisés pour des armements ainsi que celle de produits pétroliers dérivés ou de technologie pour le raffinage du pétrole ». Nerf de la guerre, le pétrole est un sujet de préoccupation constant pour le peuple iranien. Son mécontentement est régulièrement attisé par des pénuries d’essence dont le très populiste Ahmadinejad essaie de se prémunir. Pour rompre avec la stratégie de George Bush, l’administration Obama avait pour sa part exprimé sa volonté de ne pas appliquer de sanctions qui donneraient à penser que son objectif est de renverser le régime. L’idée est quand même de viser l’armée idéologique de la République islamique, les Gardiens de la Révolution qui ont la main sur les secteurs économiques les plus juteux (énergie, transports, bâtiment).
Prendre de nouvelles sanctions, c’est long et compliqué
Les Etats-Unis comptaient sur le tour mensuel de la France à la présidence du Conseil de sécurité, en février (après la Chine en janvier et avant le Gabon en mars), pour relancer le travail sur une nouvelle résolution renforçant les sanctions. Se pose la question du contenu, selon le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner : « Il y a une liste de sanctions américaines et une liste de sanctions européennes, il faut comparer les efficacités, savoir ce qu'on veut. Est-ce que nous pouvons impunément prendre des sanctions qui menaceraient le peuple iranien, mon avis est non. À propos des produits pétroliers, indépendamment des sanctions économiques, sur les banques, sur l'assurance, nous sommes en train d'étudier des sanctions qui prévoiraient éventuellement des compensations. C'est compliqué et long et ce n'est pas fait ».
Malgré la volonté de sanctionner très fortement la nouvelle dérive nucléaire iranienne, Washington et Paris n’ont « pas encore convaincu les Chinois ». Or, comme le souligne Bernard Kouchner au Conseil de sécurité, « il faut neuf voix positives sur quinze et nous ne sommes pas sûrs de les avoir maintenant ». Tout ceci entre visiblement dans les calculs de Mahmoud Ahmadinejad. À ses côtés, le guide suprême a d’ailleurs juré publiquement d’infliger un camouflet déterminant aux Occidentaux le 11 février, pour le 31e anniversaire de la Révolution islamique.