Une mesure radicale
En mars 2003, parallèlement à l’offensive militaire, le gouvernement américain met en place une Autorité provisoire de la coalition. Placée sous l’autorité de Paul Bremer, elle est chargée de mettre en place de nouvelles institutions. L’une de ses premières décisions sera de démanteler l’armée irakienne, soupçonnée d’être restée fidèle à Saddam Hussein. Dans le même temps des dizaines de milliers de fonctionnaires perdent leur emploi et par conséquent leurs revenus en raison de leur appartenance au Baas. L’administration américaine refuse de prendre en compte le fait que pour des milliers d’Irakiens l’adhésion au parti unique était le seul moyen d’obtenir un travail.
Dès le mois d’août 2003, une instance irakienne, le haut comité national pour la « débaassification » prend en charge ce dossier. Dirigée par le très contesté Ahmad Chalabi, proche des néo-conservateurs américains et revenu d’exil après la chute de Saddam Hussein, la commission est accusée par ses détracteurs de fonctionner de manière opaque et de n’offrir aux fonctionnaires licenciés aucune possibilité de faire appel de la décision devant une juridiction indépendante.
Au total, près de 200 000 fonctionnaires civils et 400 000 militaires ou employés des services de sécurité vont perdre leur emploi. Des milliers d’entre eux vont alors rejoindre les rangs des milices qui combattent l’occupation américaine.
Un mea culpa sans conséquences
Un an à peine après sa prise de fonction Paul Bremer reconnaîtra à demi-mot l’échec de sa politique. Dans une interview à la chaîne de télévision Al-Iraqiya, financée par le gouvernement américain, il affirme que « la débaassification est une bonne politique mais la façon de l’appliquer devrait changer ». Dans les mois qui suivent quelques milliers de personnes retrouvent leur poste mais la rancœur au sein de la minorité sunnite, principale victime de cette politique, perdure. En janvier 2008, le Parlement irakien après des tractations particulièrement difficiles, adopte la loi dite de l’intégrité et de la justice. Pour ses détracteurs, principalement sunnites, cette loi est insuffisante car elle conserve tout en lui donnant un autre nom, la structure chargée de la politique de débaassification. Toutefois, le centre international pour la justice transitionnelle, basée à New York reconnaît que « le nouveau système tente de créer une procédure d’appel indépendante sous le nom de "chambre de cassation". Les personnes évincées pourront s’adresser à une cour composée de sept magistrats nommés par la Cour suprême judiciaire ».
Une décision contestée
Ce sont ces sept magistrats qui ont décidé mercredi 3 février d’autoriser plus de cinq cents candidats, précédemment empêchés, de participer aux élections législatives prévues le 7 mars prochain. Le gouvernement américain qui plaide depuis plusieurs mois pour une accélération du processus politique de réconciliation interconfessionnelle a salué cette décision. « Nous soutenons la palette la plus large possible de candidats venant de chacune des communautés d’Irak afin que le résultat produise un gouvernement capable de diriger efficacement le pays et d’avoir le soutien du peuple irakien » a indiqué Philippe Crowley porte-parole du département d’Etat américain. Manière subtile de dire que les Américains plaident pour une meilleure représentation de la minorité sunnite au sein du nouveau Parlement. Ils soulignent qu’une participation à la vie politique de cette minorité éloignera la tentation pour certains de rejoindre les rangs d’une guérilla qui, sous une forme ou sous une autre, reste toujours très active.
Le gouvernement irakien dirigé par Nouri al-Maliki a pourtant du mal à accepter une éventuelle réintégration dans la vie sociale et politique du pays de milliers de personnes précédemment exclues pour leur appartenance au parti Baas de triste mémoire pour les chiites et pour les kurdes. Le chef du gouvernement a ainsi sollicité une réunion d’urgence du Parlement pour examiner la décision des sept magistrats. Pour le porte-parole du gouvernement « la décision de l’instance d’appel de réintégrer les 500 candidatures rejetées dépasse ses prérogatives ».
Les deux principaux partis chiites estiment que la décision des juges intervient après une vive pression des Etats-Unis illustrée selon eux par la récente visite du vice-président américain Joe Biden. Pour l’Alliance nationale irakienne qui regroupe entre autres les partisans du chef radical Moqtada Sadr et ceux du conseil supérieur islamique d’Irak, « il faut refuser les actions qui mettent en cause le principe de la souveraineté et le respect de la Constitution ».
La mouvance chiite qui dispose de la majorité au sein de l’actuel Parlement de 275 membres craint de perdre son influence. La prochaine assemblée législative comprendra en effet 325 membres et pourrait voir les sunnites disposer d’une représentation plus importante. D’autant que depuis les dernières élections, le groupe majoritaire a connu une scission et a vu le Premier ministre constituer un nouveau groupe pour les élections de mars prochain. Dimanche 8 février, les députés devraient donc s’opposer dans leur majorité à la décision des magistrats d’accepter la candidature de quelque 500 personnes considérées jusqu’à présent comme partisans de l’ancien parti Baas. La réconciliation souhaitée par les alliés étrangers de l’Irak est encore loin d’être une réalité.