A la veille du scrutin, les vainqueurs des Tigres tamouls s'entredéchirent

L’élection présidentielle se tient mardi 26 janvier 2010, plus de 2 ans avant le calendrier prévu. Une décision du président sortant Mahinda Rajapakse, au lendemain de la victoire de l'armée sur la rébellion. Mais un rival s'est soudainement imposé. L'ancien chef des armées, l'ex-général Sarath Fonseka, a lui aussi revendiqué la victoire sur les Tigres. A la veille du scrutin, il semble que l’on s’achemine vers une course très disputée. 

Le duel pour la présidentielle du 26 janvier 2010 se joue entre deux nationalistes cinghalais, qui ont œuvré de concert à la défaite des Tigres Tamouls, jusqu’en mai 2009. Mais Sarath Fonseka -depuis qu’il a quitté les rangs de l’armée- joue la carte de l’ouverture au dialogue avec les minorités, et attire dans son camp les représentants d’une large partie de l’échiquier politique, notamment l’ancienne présidente Chandrika Kumaratunga, mais aussi son ancien Premier ministre Wickremesinghe, prédécesseur de Rajapakse à ce poste, et artisan de la trêve signée avec les Tigres Tamouls en février 2002.

Comme le souligne le spécialiste du Sri Lanka Eric Meyer, professeur émérite de l'Institut des Langues Orientales, Rajapakse peut se prévaloir d’avoir écrasé la rébellion tamoul, mais son rival Fonseka, dispose de plus d’un atout dans son jeu :

Aujourd'hui, le président Rjapakse appelle à des élections libres et transparentes. Pourtant les observateurs dénotent un déséquilibre manifeste, en faveur du camp présidentiel. Jehan Perera, directeur du think-tank « National Peace council of Sri Lanka », incrimine surtout la mainmise du gouvernement sur les medias d’Etat :

« Le gouvernement a usé et abusé des médias d'Etat afin de faire prévaloir l'opinion du chef de l'Etat sortant, pour contrer le candidat de l'opposition et louer le président. Cette façon de recourir aux médias publics n'est pas autorisée par la loi. La loi électorale précise qu'un traitement équitable doit être réservé aux différents candidats. D'ailleurs la Cour suprême a elle-même dénoncé cet état de fait, mais elle n'a pas été suivie. » 

Une campagne sous influence

Jehan Perera affirme aussi -de même que la plupart des journalistes qui ont sillonné le pays- que seule la propagande gouvernementale s’étale au grand jour. Le camp rival est pratiquement inexistant sur les murs de la capitale et des principales villes du pays. Le coup d’accélérateur donné au calendrier électoral n’a peut-être pas permis à la communauté internationale de se mobiliser en nombre pour dépêcher suffisamment d’observateurs, néanmoins le Sri Lanka dispose d’un véritable savoir-faire sur le plan de l’organisation des élections et les fraudes ne devraient pas passer inaperçues.

Quant aux rumeurs de coup d'Etat, Jehan Perera n'y croit pas :

« Il n'y a jamais eu de coup d'Etat dans notre pays. L'armée du Sri Lanka ne s'est jamais impliquée politiquement, les militaires ont toujours obéi aux ordres du gouvernement élu. Je pense donc qu'une intervention armée est improbable, à moins que les autorités légales ne fassent appel à l'armée. Mais ce que l'on peut craindre, c'est qu'il y ait des résistances à accepter le verdict des urnes, de la part de celui qui sera présenté comme le vaincu du scrutin. Par exemple, si le candidat de l'opposition est déclaré perdant, avec une faible marge, alors on peut s'attendre à ce que le camp de l'opposition porte plainte et dénonce toutes les violations commises avant et peut-être même pendant le jour du vote. Il est même possible que l'on assiste à ce moment-là à des manifestations, en cas de défaite de l'opposition avec un score serré ».

Des violences des deux côtés

Parties du camp présidentiel, les violences se sont répandues tout au long de la campagne, faisant quatre morts et des centaines de blessés. A la veille du scrutin, RSF, Reporters Sans Frontières, signalait également la disparition à Colombo du journaliste Eknaligoda. Les accusations de complot et les menaces de coup d’Etat se sont multipliées, sans véritable fondement, au détriment d’un véritable débat sur la réconciliation nationale et la façon de gérer les centaines de milliers de civils affectés par près de trois décennies de conflits.

Pour Eric Meyer, professeur à l’INALCO, les candidats n’ont pas pris la mesure des besoins exprimés par les populations tamoul.

L’un des atouts majeurs du candidat Fonseka est d’être nouveau venu sur la scène politique, ce qui permet à une partie de l’opinion d’attacher un certain crédit à ses promesses de campagne. S’il parvenait au sommet de l’Etat, cela devrait l’obliger à consulter les nombreux soutiens ayant permis sa montée en puissance. Dans le cas d’une course très serrée, le poids de la minorité tamoul même limité, pourrait donc faire pencher la balance en sa faveur. Il n’est pas sûr que cela lui permette néanmoins de contrer l’offensive médiatique du clan présidentiel.

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