Le gouvernement sri-lankais persiste et signe. Pour Colombo, la vidéo diffusée l’an dernier par la chaîne britannique Channel 4 est un faux. La vidéo « n’est pas authentique (…) elle a été falsifiée », a martelé le ministre sri-lankais des droits de l’homme Mahinda Samarasinghe. Il faut dire que les déclarations du rapporteur spécial de l’ONU le 7 janvier 2010 ont fait l’effet d’une gifle au plus haut sommet de l’Etat ; la reconnaissance de l’authenticité des images revenant à affirmer que l’armée sri-lankaise a bien commis des crimes de guerre lors de son offensive contre les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Bien que légèrement floues, ces images sont en effet terriblement accablantes. On y voit un homme en uniforme militaire tirer dans la nuque d’un homme dénudé. Celui-ci est assis au milieu de huit corps sans vie allongés dans un champ boueux. Au moment de son exécution, il a les mains attachées dans le dos et les yeux cerclés d’un bandeau bleu.
« Vidéo authentique »
Depuis sa première diffusion le 25 août 2009, la scène a fait le tour du web. Même si l’origine du document reste obscure - la bande aurait été envoyée à Channel 4 par un mystérieux groupe des« Journalistes pour la démocratie au Sri Lanka » -, ces images sont d’autant plus dérangeantes pour Colombo, qu’elles sont, pour l’instant, les seules à témoigner d’éventuelles exactions de l’armée. Le gouvernement sri-lankais a d’ailleurs tout fait pour les disqualifier, n’hésitant pas à charger ses propres experts d’enquêter sur le film.
Sans rendre public leur rapport, Colombo a définitivement conclu à la « manipulation ». D’où la contre-enquête lancée par l’ONU et la mise à contribution de trois experts spécialisés en médecine légale, analyse de films et armes à feux. Les Américains Daniel Spitz, Peter Diaczuk et Geoff Spivack, qui n’ont jamais été impliqués auparavant dans les affaires relatives au Sri Lanka, affirment tous que la vidéo est authentique.« Le recul, le mouvement de l’arme et du tireur et les gaz échappés du canon lors de deux apparentes exécutions sont compatibles avec un tir à balles réelles et non avec des cartouches à blanc », note Peter Diaczuk. On « n’a pas trouvé de preuve de rupture dans la continuité de la vidéo, ni d’autres manipulations de l’image »,poursuit Geoff Spivack.
Enquête indépendante
Après avoir mis en doute l’indépendance et l’impartialité de l’enquête sri-lankaise, Philip Alston le rapporteur onusien sur les exécutions extrajudiciaires a enfoncé le clou jeudi en réclamant l’ouverture d’une enquête indépendante pour déterminer si oui ou non des crimes de guerres avaient été commis au Sri Lanka. Trop, c’est trop pour Colombo qui reproche désormais à Phillip Alston de ne pas avoir suivi « la procédure qu’il aurait dû suivre ».
Le ministre Mahinda Samarasinghe va même plus loin et accuse désormais l’ONU de mener une « croisade » pour faire comparaître le gouvernement sri-lankais devant des tribunaux de guerre. Les images de Channel 4 semblent avoir été tournées à la fin des opérations contre le LTTE, alors que les rebelles tamouls étaient acculés dans une mince bande de territoire dans le nord de l’île. Mais au total, l’offensive finale aura duré plus d’un an avec des milliers de civils pris entre deux feux.
L’armée a-t-elle outrepassé les règles du droit international pour accélérer la chute de la guérilla ? Colombo a annoncé en mai dernier la défaite totale des Tigres après une guerre de 37 ans qui aurait fait entre 80 000 et 100 000 morts. Or jusqu’à présent, aucune enquête indépendante n’a pu être menée dans le pays.
(Avec AFP)