Rosarno est une ville portuaire de 15 000 habitants, située à la pointe de la botte italienne. Elle vit de la culture des mandarines et des clémentines. La main d’œuvre n’a jamais manqué pour la récolte des fruits. Elle est bon marché : 20 euros par jour et par personne et d’autant plus docile que la mafia calabraise, la N’Drangheta maintenait sous son contrôle les 1 500 sans-papiers, originaires pour la plupart du Ghana ou du Nigeria qui travaillaient dans la région. Ils vivaient dans des usines désaffectées sans eau, ni électricité. Seuls Médecins sans frontières et des organisations de défense des droits de l’homme se préoccupaient de leur sort.
Les ONG dénonçaient sans relâche les conditions de vie extrêmement dures de ces travailleurs et le rôle de la mafia. Les relations étaient distantes avec la population de Rosarno mais rien ne laissait présager une telle explosion de violence jusqu’à ce que des tirs à la carabine sur des Africains déclenchent les pires émeutes qu’a connues la péninsule ces dernières années. Dans la nuit du 7 au 8 janvier 2010, des dizaines d’immigrés incendient des voitures, brisent des vitrines et mettent le feu à des poubelles. Le matin, ils sont plus d’un millier à manifester devant la mairie pour dénoncer un acte raciste.
Samedi 9 janvier, la police évacue finalement plus d’un millier d’entre eux vers des centres d’hébergement mais les images de chasse à l’homme diffusées en boucle à la télévision avec des habitants de Rosarno en colère, clamant qu’ils allaient tuer des immigrés, émeuvent l’Italie toute entière. Entre jeudi et samedi, les affrontements font plus d’une quarantaine de blessés, dont une trentaine d’immigrés. Quatre ont été gravement atteints.
La violence suscite de nombreuses réactions
Le chef de l'Etat italien, Giorgio Napolitano a appelé au calme et le pape Benoît XVI au respect des immigrés. Le ministre de l'Intérieur, Roberto Maroni, membre de la Ligue du Nord, un parti d'extrême droite connu pour ses positions contre l’immigration, a déclenché une polémique en déclarant que cette explosion de violence était due au fait que l'immigration illégale est tolérée en Italie depuis trop longtemps. Il a d’ailleurs annoncé que les sans-papiers allaient être expulsés.
Le chef de l'opposition de centre-gauche, Pierlugi Bersani, a répliqué : « Maroni se défausse ... nous devons aller aux racines du problème : la mafia, l’exploitation, et le racisme ».
Le fondateur du quotidien La Repubblica, Eugenio Scalfari interpelle de son coté le gouvernement : « Nous ne savions rien ? Nous ne savions pas que les récoltes en Italie emploient au moins 20 000 immigrants pour la plupart sans-papiers ? Nous ne savions pas dans quelles conditions ils vivent ? Nous n’avions pas l’obligation d’intervenir ? », écrit-il.
La justice ouvre une enquête sur le rôle de la N’Drangheta dans les émeutes
Rosarno s’est vidé de ses immigrés. Le calme est revenu. Des bulldozers s’activent pour démolir les bâtiments où ils vivaient et la justice italienne a ouvert une enquête sur d’éventuelles implications mafieuses dans le déclenchement des émeutes.
« Ces types nous tiraient dessus comme s'ils étaient à la fête foraine, et ils riaient. Je hurlais, d'autres voitures sont passées mais personne ne s'est arrêté », déclarait vendredi un des immigrés blessés au quotidien La Repubblica. Les « types » étaient-ils membres de N’dranghetta ?
La police tentera de répondre à cette question mais nombreux sont ceux qui ont déjà tranché : « Ce sont certainement les hommes de la N'drangheta qui ont tiré sur les immigrés pour prouver qu'ils contrôlent le territoire », a estimé Alberto Cisterna, magistrat du parquet national anti-mafia.
La N'drangheta est soupçonnée d'avoir fait exploser en signe d’avertissement une bombe artisanale, il y a une semaine, devant l'entrée du parquet de Reggio de Calabre, chef-lieu de la région. « Ce n'est pas une coïncidence », a déclaré le secrétaire d'Etat à l'Intérieur, Alfredo Mantovano à la Rai, la radio publique italienne. D’autant que la police aurait reconnu des membres de la N'drangheta lors des affrontements avec les immigrés. « Tirez sur la mafia pas sur les africains », lançait un éditorialiste d’Il Giornale, un quotidien de la famille Berlusconi, au lendemain des émeutes car désormais les habitants de Rosarno doivent s’interroger : qui va vouloir désormais récolter les mandarines et les clémentines ?