Législatives indiennes 2019: dispendieuses mais populaires

La plus grande démocratie du monde élit ses députés le mois prochain. Le scrutin, qui se déroulera en neuf étapes, mobilisera 11 millions d’agents et des logistiques à la mesure de la dimension de ce pays-continent. Le ralentissement de l’économie indienne complique la campagne du Premier ministre Narendra Modi et de son parti nationaliste au pouvoir à New Delhi depuis 5 ans. Le bilan des sortants est assombri par la multiplication des attaques meurtrières contre les minorités musulmanes perpétrées par des militants hindouistes.

2019 est une année électorale importante pour l’Inde, dont l’enjeu principal est le renouvellement de la chambre basse du Parlement fédéral, qui est dominé depuis cinq ans par les hindouistes. Les dates du scrutin législatif viennent d’être annoncées par la commission électorale indienne : la population votera du 11 avril au 19 mai prochain pour élire les 543 députés. Ce sera les 17èmes élections législatives en Inde depuis son indépendance en 1947. La toute première édition s’est déroulée en 1952.

Mode de scrutin

Les législatives 2019 seront étalées sur 7 dates réparties sur 6 semaines, chose qui n’étonnera personne compte tenu de la dimension quasi continentale de ce pays et sa population forte de 1,25 milliard d’habitants. L’Inde est administrativement divisée en 29 Etats fédérés et 7 territoires. Alors que certains Etats auront accompli leur devoir électoral en une seule journée, d’autres comme l’Etat de l’Uttar Pradesh où vit 1 Indien sur 6, verront leurs électeurs voter à des dates différentes. Les résultats seront connus à partir du 23 mai. Ils seront annoncés par la commission électorale, qui est une organisation autonome et respectée de part et d'autre de la ligne de fracture idéologique.

Le vote n’est pas obligatoire en Inde, mais il est populaire. 66% des inscrits ont voté aux législatives de 2014. Le mode de scrutin est majoritaire et uninominal. Il faut 272 sièges pour obtenir la majorité dans un Parlement qui compte 545 sièges. Le parti ou la coalition qui peut se targuer d’avoir atteint ce seuil magique est appelé par le président de l'Union pour former le gouvernement. Son chef de file devient automatiquement Premier ministre, fonction que brigue l’actuel locataire du 7, Race Course Road, à New Delhi (primature), Narendra Modi, 68 ans.

Le principal adversaire de Narendra Modi est Rahul Gandhi, 48 ans, chef de file de l’opposition, mais peu expérimenté en matière de gouvernance, n’ayant jamais exercé de responsabilités gouvernementales. Il est le patron du parti historique du Congrès qui a conduit l’Inde à l’indépendance en 1947 et a depuis gouverné le pays pendant plus de cinq décennies. Au pouvoir entre 2004 et 2014, le Congrès a vu sa bonne fortune s’étioler à cause de la multiplication des affaires de corruption impliquant des ministres. Ce parti a été évincé du pouvoir aux législatives historiques de 2014 qui ont été remportées avec une écrasante majorité par le parti nationaliste hindou, le Bharatiya Janata Pary (BJP) dirigé par Narendra Modi. Le BJP avait laminé le Congrès, remportant 282 sièges. Aucun parti n’avait enregistré une victoire aussi massive depuis 1984 lorsque le Congrès avait remporté 414 sièges, suite à l’assassinat de son leaderIndira Gandhi, la grand-mère de l’actuel chef du Congrès.

Enjeux politiques et économiques

Les législatives de 2019 qui vont opposer deux visions de l’Inde seront décisives pour l’avenir de ce pays tant sur le plan économique que sur le plan politique. Représentant d’une droite musclée, Modi est arrivé au pouvoir en promettant le développement économique et le renforcement de l’identité hindoue de l’Inde qui, selon les théoriciens du parti au pouvoir, aurait été malmenée sous les gouvernements successifs du parti du Congrès, considéré trop favorable aux minorités.

La population indienne se répartit entre la majorité hindoue (79,8%) et les minorités religieuses, dont les plus importantes sont les musulmans (12,3%) et les chrétiens (2,3%). A l’indépendance, l’Inde a inscrit dans sa Constitution son choix d’un modèle de démocratie laïque ou « secular », selon la terminologie officielle. Le sécularisme indien ne reconnaît aucune religion d’Etat et garantit la liberté totale en matière de foi religieuse. C’est cette vision d’une démocratie basée sur la liberté et l’égalité religieuses, qui est mise en cause par les nationalistes hindous au pouvoir, mais ils n’ont pas la majorité constitutionnelle des deux tiers requise pour changer la Loi fondamentale.

Il n’en reste pas moins que cette question du sécularisme est devenue un prétexte à une agitation et une mobilisation incessantes de la part des militants hindouistes, encouragés par les prises de position des dirigeants gouvernementaux faisant la promotion de l’identité hindoue de l’Inde. Depuis 2014, il y a eu des cas de lynchages de musulmans au nom de la « protection de la vache », animal sacré dans l’hindouisme. Le Premier ministre ayant tardé à condamner ces meurtres, les musulmans sont de plus en plus souvent pris à partie.

En matière économique, le gouvernement Modi a réussi à donner un coup de fouet à l’activité qui affichait entre 2014 et 2016 la croissance la plus forte des pays du G20 à environ 7,5%,si l’on en croit les rapports de l’OCDE. La deuxième partie du mandat de Narendra Modi a été moins favorable pour l’économie qui s’est ralentie à cause du choc de la « démonétisation » (retrait brutal de la circulation des billets de banque les plus utilisés pour accélérer la conversion des espèces en comptes bancaires) et la mise en place chaotique d’une TVA nationale pour remplacer la foultitude de prélèvements locaux.

Monter au front

Le gouvernement se heurte aujourd’hui à un mécontentement grandissant lié au chômage et aux inégalités. En janvier, un rapport officiel révélait que le taux de chômage aurait atteint son niveau le plus élevé depuis 45 ans.

La détresse rurale s’est également imposée comme l’un des thèmes majeurs de la campagne électorale, suite à des manifestations récentes des paysans protestant contre la stagnation des prix des produits agricoles, les coûts croissants des engrais et des semences, et des niveaux d’endettement de plus en plus intolérables pour les 600 millions de paysans que compte le pays. « La mobilisation paysanne devrait donc s’intensifier dans les mois à venir », écrivent dans les colonnes de The Conversation les chercheurs Floriane Bolazzi et Yves-Marie Rault.

Craignant d’être désavoués aux urnes, le Premier ministre Narendra Modi et ses principaux ministres ont décidé de monter eux-mêmes au front pour rappeler les principales réalisations de leur quinquennat : croissance du produit intérieur brut, inflation maîtrisée, progression des investissements étrangers, montée en grade dans le classement « Doing Business in India  » de la Banque mondiale, succès visibles des opérations de nettoyage des villes…

Selon nombre d’observateurs, c’est la récente crise indo-pakistanaise, déclenchée par l’attentat-suicide au Cachemire indien en février dernier, tuant quelque 40 paramilitaires indiens, qui a été le véritable tournant dans la campagne. La rhétorique martiale du Premier ministre indien qui répond au nationalisme à fleur de peau de la population indienne, a redonné du crédit au gouvernement de New Delhi en perte de vitesse. Cette lecture de l’état de l’opinion à la veille des législatives, est confortée par les derniers sondages qui donnent la coalition conservatrice autour de Modi gagnante avec quelque 260 sièges contre 140 pour l’alliance formée par le parti du Congrès que dirige Rahul Gandhi.

Pour autant, peut-on dire à deux semaines des élections cruciales que la messe est déjà dite ?

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