De notre correspondant à Bangkok, Arnaud Dubus
Durant le gouvernement de Yingluck Shinawatra, qui a duré des élections de juillet 2011 jusqu’au coup d’Etat de mai 2014, celle-ci avait lancé une politique de soutien aux riziculteurs. Le gouvernement achetait le riz aux paysans à des prix 50% plus élevés que les prix du marché. Les paysans étaient évidemment ravis, mais la politique s’est révélée désastreuse financièrement pour l’Etat avec des pertes s’élevant à l’équivalent de 5 milliards d’euros.
Après le coup d’Etat, les militaires et leurs partisans ont estimé que ce programme était perclus de corruption, mais aussi que des hauts-fonctionnaires avaient prévenu Yingluck de ce que ce programme était un gouffre financier et qu’elle n’en avait pas tenu compte. Les militaires ont donc lancé une série de procédures judiciaires et administratives à son encontre.
Un procès pénal et une décision administrative prise par la junte
Il y a d’abord un procès pénal qui a été engagé, pour « négligence dans l’exercice des fonctions de Premier ministre ». Le verdict doit être délivré le mois prochain. Yingluck risque une peine maximale de dix ans de prison. Parallèlement, la junte a pris une décision administrative qui ordonne la saisie des biens de Yingluck pour l’équivalent d’un milliard d’euros – soit un cinquième des pertes estimées du programme de subvention rizicole. Cette saisie a démarré cette semaine.
Une partie de la population a le sentiment qu’il y a deux poids-deux mesures. Yingluck est l’objet d’un procès pénal, parce qu’une politique sous l’égide de son gouvernement s’est avérée déficitaire. Par le passé, tous les gouvernements thaïlandais ont appliqué certaines politiques déficitaires et ils n’ont jamais été inculpés de crimes. En fait, le gouvernement militaire applique actuellement une politique de soutien à culture de l’hévéas qui est aussi déficitaire, même si les proportions sont moindres. La junte a aussi dépensé des milliards d’euros pour acheter des armements, notamment des sous-marins et des avions de combat. Certains partisans de Yingluck pointent du doigt le fait que la politique de subvention rizicole a permis à des millions de paysans thaïlandais d’améliorer leur niveau de vie, alors que les dépenses pour les armements, selon eux, ne profitent qu’aux militaires.
Yingluck Shinawatra, futur martyre ?
Si Yingluck Shinawatra est condamnée à plusieurs années de prison, elle va devenir une sorte de martyre pour ses partisans et sa popularité qui est déjà forte ne va faire qu’augmenter. Mais si elle est relaxée par les juges, cela sera une sorte désaveu pour la junte. Il faut ajouter que l’indépendance de la justice par rapport au pouvoir politique est assez relative en Thaïlande. En tous les cas, la junte est nerveuse. Chaque fois que Yingluck comparaît devant le tribunal, environ des centaines de ses partisans viennent l’ovationner. Et les militaires craignent que le jour du verdict une foule massive se rende devant le tribunal. Les généraux au pouvoir font donc tout pour dissuader les partisans de l’ancienne première ministre de venir la soutenir.