Ils ne resteront que dix minutes devant l'ambassade de France. A peine le temps de dérouler leur banderole avec ces mots inscrits : « Des visas pour les interprètes afghans de l'armée française », avant que des militaires ne repoussent le groupe d’une soixantaine d’hommes.
Huit cents mètres plus loin, sur un trottoir, au bord de la route, Mohamad Amin, 50 ans, se confie. « J’ai reçu trois ou quatre fois des menaces téléphoniques. Il y a des gens qui me suivent, qui me reprochent d’avoir travaillé avec la force française. Ils me disent que s’ils me trouvent, ils me couperont le nez, les oreilles, les mains. Je ne bouge pas, je suis prisonnier dans la maison », raconte-t-il au micro de notre correspondante à Kaboul, Sonia Ghezali.
Ce père de cinq enfants a travaillé 12 ans au service de l'armée française. Ses enfants ne vont plus à l'école par précaution, tout comme les petits frères de Habibullah, interprète entre 2012 et 2014 dans la Kapisa. « Je demande des visas pour sauver ma vie et celle de ma famille. On a mis notre vie en danger pour travailler et aujourd’hui, quand nous avons besoin de son aide, la France nous oublie », se désole-t-il. Habibullah dit sortir parfois sous une burqa. Son père dissimule son visage sous une écharpe lorsqu'il va prier à la mosquée. Le jeune trentenaire s'est vu refuser deux fois sa demande de visa par la France.
Environ 700 Afghans ont travaillé aux côtés de l’armée française, comme mécaniciens, employés de ménage ou interprètes. Parmi ces derniers, une centaine ont bénéficié d’un processus de « relocalisation » en France.
Solidarité à Paris
A Paris, au même moment, une quarantaine d'entre eux se sont rassemblés à quelques centaines de mètres du ministère des Affaires étrangères, en signe de solidarité pour leur collègues restés au pays. Momand Daryouch, 42 ans, a travaillé six ans comme interprète pour l'armée française à Surobi. Installé aujourd'hui avec sa famille à Laon, il demande que ses confrères obtiennent comme lui un permis de séjour en France. « C'est la vocation de la France à ouvrir une porte pour tous ceux qui ont servi la France au péril de leur vie », lance-t-il.
« La situation sécuritaire en Afghanistan se détériore de jour en jour pour tout le monde, et notamment pour les gens qui ont travaillé avec des forces de l'Otan. Ils sont considérés comme des traîtres, des infidèles. Deux de mes amis ont été décapités. Depuis le retrait des troupes française d'Afghanistan, beaucoup de menaces pèsent sur les interprètes. On veut la justice pour tous les interprètes », insiste Abdul Raziq Adil, le chef de l'Association des anciens interprètes afghans de l'armée française.
Les anciens interprètes de l'armée française espèrent que les ministères de la Défense et des Affaires étrangères accepteront d'examiner les dossiers de leurs confrères restés en Afghanistan et de plusieurs dizaines d'autres qui ont été contraints de prendre la route de l'exil.