Les rapports publiés par The Guardian ont été rédigés par des membres du personnel du centre de rétention de Nauru, petite île isolée au loin dans l'océan Pacifique, sur une période de deux ans avant d'être traités par des journalistes de la rédaction australienne du journal. Il s’agit selon ces derniers de la plus grosse fuite de documents venant de là-bas.
Le compte rendu de l'équipe du Guardian fait notamment état de conditions de vie déplorables, d'agressions, d'abus sexuels, d'abus sur des enfants, mais aussi de tentatives d'automutilation recensées chez ces demandeurs d'asile retenus par l'Australie. Le tout donne l'impression d'un « dysfonctionnement » et d'une « cruauté » « routiniers », précisent les trois auteurs de l'article.
« L'analyse du Guardian sur ces dossiers révèle que les enfants sont largement surreprésentés dans ces rapports. Plus de la moitié des 2 116 rapports - un total de 1 086 incidents, soit 51,3 % - impliquent des enfants, bien que ces derniers ne représentaient que 18 % des personnes en détention à Nauru pendant la période couverte par les rapports, entre mai 2013 et octobre à 2015 », selon les journalistes Paul Farrell, Nick Evershed et Helen Davidson.
« Submergés par un sentiment de désespoir »
Les écrits qu'ils ont épluchés révèlent notamment « des actes extraordinaires de désespoir », rapportent-ils. Et d'évoquer en particulier le cas d'une femme enceinte qui, après avoir été informée qu'elle devrait donner naissance à son bébé sur l'île en octobre 2015, a supplié un travailleur social de le remettre à l'Australie, pour que le pays s'occupe de lui plutôt qu'il voie le jour dans un tel environnement.
Le 3 août dernier déjà, l'ONG Human Rights Watch (HRW) et les autres organisations abondaient dans le même sens : « Les réfugiés et les demandeurs d'asile à Nauru, détenus pour la plupart depuis trois ans, sont fréquemment en butte à la négligence des professionnels de la santé et autres intervenants engagés par le gouvernement australien pour fournir des services. Ils sont également la cible de fréquentes agressions impunies de la part des habitants de l'île, les Nauruans. »
« Les soins médicaux, lorsqu'ils leur sont prodigués, le sont avec des retards injustifiés, même pour des pathologies mettant en danger leur vie. Beaucoup souffrent de graves troubles mentaux et sont submergés par un sentiment de désespoir - les automutilations et les tentatives de suicide sont fréquentes. Tous sont plongés dans l'incertitude quant à leur avenir », détaillait l'organisation dans ce texte en français.
« Caractère systématique de ces pratiques »
Anna Neistat, directrice de recherche pour l'ONG Amnesty International, est l'auteure d’un rapport sur les abus et traitements inhumains infligés aux migrants. Elle rappelle au micro de RFI que ce ne sont pas les premières informations de ce type à remonter du centre de rétention australien. Mais ce qui est important ici, selon elle, « c'est la gravité des allégations et leur ampleur ».
« Je viens tout juste de rentrer de l'île de Nauru. J'ai pu parler à une soixantaine de personnes, ma collègue de Human Rights Watch à des dizaines d'autres, et nous avons été en mesure de recueillir des informations qui concordent en tout point avec celles révélées par The Guardian, y compris sur la maltraitance des enfants », explique Mme Neistat, qui revient surtout sur les raisons qui, à ses yeux, poussent le gouvernement australien à ne rien changer à sa politique à l’égard des migrants :
« Ces documents ne font en fait que révéler le caractère systématique de ces pratiques à Nauru et l'inaction tout autant systématique des autorités australiennes. Le processus de renvoi des migrants vers les centres de rétention dans le Pacifique, c'est en réalité un acte délibéré des autorités australiennes pour dissuader les demandeurs d'asile de venir en Australie par la mer. »
« Ce que nous voyons aujourd'hui, ce sont des femmes, des hommes et des enfants qui sont retenus en otage par l'Australie sur Nauru, dans des conditions épouvantables, uniquement pour empêcher d'autres candidats à l'asile de débarquer sur les côtes australiennes », conclut la responsable d'Amnesty International.
« Une politique cautionnée par le gouvernement »
HRW défend la même ligne qu'Amnesty International : « Les autorités australiennes n'ignorent rien des atteintes aux droits humains commises à Nauru. La Commission australienne pour les droits humains et l'égalité des chances (Commission australienne), le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), un Comité restreint du Sénat et un expert indépendant nommé par le gouvernement, ont tous mis en lumière nombre de ces pratiques et demandé au gouvernement d'agir.
« Son manque de détermination à remédier aux violations commises sous son autorité à Nauru laisse à penser qu'elles relèvent d'une politique cautionnée par le gouvernement. »
« En transférant de force des réfugiés et des demandeurs d'asile à Nauru, en les maintenant en détention prolongée dans des conditions inhumaines, en les privant de soins médicaux adéquats et en structurant par divers moyens ses interventions de telle sorte que beaucoup voient leur santé mentale se détériorer, le gouvernement australien bafoue les droits de ne pas être soumis à la torture, aux mauvais traitements, ni à la détention arbitraire, ainsi que d'autres protections fondamentales », écrit l'ONG en son nom et au nom d'Amnesty.
Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a d'ailleurs lui-même réagi dans une déclaration, faisant part de sa vive préoccupation face à ces informations de presse et réclamant une « solution urgente » : « Bien que le HCR ne soit pas en mesure de vérifier les incidents individuels révélés par ces rapports, les documents révélés sont globalement conformes aux préoccupations anciennes et persistantes concernant la santé mentale, mais aussi les conditions générales des réfugiés et demandeurs d'asile sur Nauru. »