«Ma’Rosa», Brillante Mendoza plonge dans un Manille pauvre et corrompu

Après American Honey d’Andrea Arnold et son road-trip d’une bande de jeunes à travers le Midwest américain, voici une virée nocturne dans les rues d’un quartier pauvre de Manille. Le réalisateur philippin Brillante Mendoza, en lice pour la Palme d’or, réussit brillamment sa traversée cinématographique d’un quartier et d’une société corrompue et désespérante.

A la caisse du supermarché, la caissière leur donne des bonbons au lieu de rendre la monnaie. Ensuite, le taxi refuse de s’engager dans une impasse et les oblige à marcher avec leurs sacs lourds dans la boue sous la pluie. Et quand ils arrivent enfin à la « maison », au Rosa Sari-Sari Store, le grand fils a prêté la chaîne karaoké à un bar à côté. Bienvenue dans le Manille de Brillante Mendoza.

Le mode documentaire pour faire une fiction

Comme l’année dernière avec son film sur les survivants du typhon meurtrier Haiyan, Taklub, le chef de file du cinéma philippin indépendant se sert de la fiction pour faire un « documentaire » plus vrai que la réalité. Cette fois, il scrute la galère quotidienne d’une famille pauvre dans la capitale pour faire une radiographie de la société philippine.

Rosa et Nestor Reyes tiennent une petite épicerie dans un bidonville. Mais, pour mieux survivre avec leurs quatre enfants, ils vendent aussi des petits sachets de drogue. Tout ce qui doit arriver arrive : la police débarque et les emmène dans le monde corrompu du commissariat…

Le Manille du petit peuple défile devant nos yeux

Pour arriver à un maximum de réalisme, Brillante Mendoza emploie tous les codes du documentaire. Au début, la scène de l’arrestation se contente d’un long plan-séquence de cinq minutes avec caméra d’épaule, des images tremblantes, parfois presque floues et délavées. Sur grand écran, on voit les policiers en civil se frayer un chemin dans cette jungle de petites boutiques et ruelles pour arriver enfin au commissariat pourri du quartier. La porte du poste de police tarde à s’ouvrir, le garçon d’une douzaine d’années, dédié à cette tâche, était en train de surfer sur Facebook.  C’est le Manille du petit peuple qui défile devant nos yeux : des baraques de fortune, des bars karaoké, des tuk-tuks et tricycles, des vendeurs à la sauvette… Chacun à sa place, la misère est partout.

Les policiers et les poulets

Les preuves contre Rosa et Nestor sont accablantes, cela ne sert à rien de nier. Selon la loi, ils devraient aller en prison pour trafic illégal de drogues. Mais les policiers proposent autre chose : « Vous nous payez 200 000 pesos (3 800 euros) et on vous laisse libres ». Un montant bien trop élevé pour cette famille démunie. Reste une autre solution : dénoncer le fournisseur de la drogue. Le rendez-vous est fixé et l’action sera couronnée de succès : 80 000 pesos et plein de drogues trouvés dans le sac à dos du dealer.

Au commissariat, c’est la fête, à la charge des suspects. Les policiers commandent deux poulets, une caisse de bières, des cigarettes et des cacahouètes. Et tant pis quand le grand « poisson » se montre moins coopératif. Il sera tabassé jusqu’à ce qu’il perde connaissance. C’est à Rosa de nettoyer le sang sur le sol. Et la police maintient son chantage. Le prix de la liberté est maintenant fixé à 150 000 pesos pour le fournisseur et à 50 000 pesos pour Rosa et Nestor.

La caméra entre partout

Comment réunir une telle somme ? Tous les amis et toute la famille seront sollicités. La caméra entre partout, observe les trahisons et les règlements de comptes d’une société profondément déréglée, les sacrifices des uns et les lâchetés des autres. Avec sa fascination pour un réalisme dérangeant, Brillante Mendoza nous ouvre grand les portes de la société pauvre aux Philippines.

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