Sur un bateau de pêche à la dérive, quelque 300 Rohingyas musulmans venus de l’ouest de la Birmanie, sont entassés, se protégeant d’un soleil implacable avec des morceaux de tissu. Ils sont émaciés et épuisés, raconte notre correspondant à Bangkok, Arnaud Dubus, et tendent les mains pour réclamer de l’eau et de la nourriture. Cette scène, qui a lieu à une vingtaine de kilomètres des côtes thaïlandaises, est l’illustration d’une crise régionale.
Car ce navire a d’abord été secouru jeudi près de l’île de Kolipe. L’armée thaïlandaise a fourni des vivres et de l’essence aux migrants et les ONG de Bangkok se sont battues pour obtenir un ordre de débarquement de la part du Premier ministre thaïlandais. Elles l’auraient obtenu, mais certains des migrants auraient affirmé vouloir poursuivre leur route vers la Malaisie. Dans la nuit de jeudi à vendredi le bateau a donc été convoyé dans les eaux internationales par la marine thaïlandaise.
Ce vendredi matin, les 700 passagers d'une embarcation qui venait de faire naufrage au large de la province d'Aceh, dans le nord-ouest de l'Indonésie, ont eu de la chance : ils ont finalement été secourus par des pêcheurs locaux, après avoir été repoussés par les gardes-côtes malaisiens. Les pêcheurs indonésiens ont également secouru un navire à la dérive transportant 47 personnes.
Entre 8 000 et 15 000 migrants rohingyas ou venus du Bangladesh sont ainsi à la dérive dans la mer d’Andaman, menacés de mourir de faim ou de maladie, aucun pays de la région ne les acceptant sur leur sol.
Réunion régionale le 29 mai
Malaisie, Indonésie et Thaïlande se renvoient ces bateaux les uns aux autres et les remorquent en haute mer pour ne pas avoir à accueillir les migrants rapporte notre correspondante à Djakarta, Marie Dhumières. « Un jeu de ping-pong avec des vies humaines », résume avec dépit un porte-parole de l’Organisation internationale des migrations. Les pays de la région craignent qu’accepter le débarquement des immigrants et ouvrir des camps d’accueil provoqueraient aussitôt un afflux.
Le problème, disent-ils, doit être réglé à la source, c'est-à-dire en Birmanie où les Rohingyas sont persécutés et n’ont aucun droit et au Bangladesh. Une rencontre régionale est prévue à Bangkok le 29 mai – trop tard disent beaucoup, étant donné l’urgence humanitaire.
La Birmanie menace de ne pas participer à la réunion
De son côté, la Birmanie a fait savoir ce vendredi matin qu'elle pourrait boycotter cette réunion. Selon le gouvernement, la question des Rohingyas n’est pas le problème du pays, les Rohingyas n'étant pas birmans mais des immigrés illégaux, rapporte notre correspondant à Rangoon, Rémy Favre. La Birmanie a d'ailleurs toujours refusé de leur octroyer la nationalité birmane malgré les pressions des démocraties occidentales et des Nations unies. Le gouvernement du pays refuse donc de discuter des causes profondes de l’exode des Rohingyas lors de cette réunion.
Car les Rohingyas fuient bien l’Etat d’Arakan, situé sur la côte occidentale de la Birmanie où certains sont établis depuis des générations. 100 000 Rohingyas et Bangladais ont pris la mer ces trois dernières années. 150 000 Rohingyas vivent encore dans des camps de déplacés dans cet Etat, sans papier et avec un accès à l’éducation très limité.
La Birmanie rejette la responsabilité de la situation
Le pouvoir birman craint d’être accusé d’être le seul responsable de cette crise. Il affirme que les causes profondes du problème sont à rechercher ailleurs, en Thaïlande notamment, où les réseaux de passeurs sont très bien organisés. Un problème auquel le gouvernement thaïlandais a justement décidé de s'attaquer.
On se souvient de cette image terrible en janvier 2009, de barges de migrants tirées par la marine thaïlandaise en haute mer, la corde avait été coupée, près de 1 000 migrants se sont retrouvés livrés eux même, 329 auraient péri selon les ONG. L’ASEAN avait alors tenté de prendre les choses en main, mais en Asie on n’ose pas critiquer le pays voisin, donc rien ne s’est passé.
En intervenant sur les camps de transit des passeurs dans la jungle proche de la frontière malaisienne, la police thaïlandaise a mis un coup de pied dans la fourmilière, ce qui a créé cette nouvelle crise en mer.