Des fleurs, des pleurs et les flots bleus de l’archipel de Jindo qui une fois de plus restent impassibles. Un an après le drame, la mer n’a toujours pas donné toutes ses réponses aux familles des victimes. Un an après la disparition des 6 825 tonnes du ferry Sewol englouti par les eaux, l’émotion reste intacte sur les images diffusées par les télévisions sud-coréennes. L'émotion mais aussi la colère rapporte notre correspondant, Frédéric Ojardias. Car les familles sont très remontées contre le gouvernement qu’elles accusent de fausses promesses, d’interférences dans l’enquête sur le naufrage, et de chercher à échapper à ses responsabilités. Ce jeudi matin on a assisté à deux scènes frappantes : les proches des victimes ont empêché le Premier ministre d’accéder au mémorial d’Ansan, la ville d’origine des lycéens disparus. Et la présidente a participé à des commémorations à Jindo, près du lieu du naufrage en l’absence des familles, qui ont quitté les lieux en signe de protestation.
Dans le centre de Séoul, la capitale, les familles des victimes campent depuis de longs mois. Elles ont installé un mémorial de fortune sur la place Gwanghwamun. Au milieu des odeurs d’encens et des bruits de voitures, des passants s’arrêtent, déposent des fleurs blanches devant des photos des enfants disparus, signent des pétitions. Lee Jong-cheol a perdu son fils dans la tragédie. Depuis il a quitté son travail. Il y a deux semaines, il s’est rasé le crâne pour montrer sa colère contre le gouvernement et il témoigne. « Je m’appelle Lee Jong-cheol, je suis le père de Min-ho, qui était en première au lycée. Cela fait un an que le ferry Sewol a coulé, mais rien n’a changé. On ne connaît toujours pas la vérité sur le naufrage. Pour moi, un an, c’est juste un chiffre. Ca ne veut rien dire. Tout ce que je veux, c’est que la vérité soit enfin révélée, et que les règlementations de sécurité en Corée soient renforcées. Je veux vivre dans un pays sûr. »
Le naufrage d'un système
Le navire qui a emporté avec lui 304 de ses passagers, en grande majorité des élèves du secondaire, repose aujourd’hui par 40 mètres de fond. Faut-il le remonter à la surface ? Certains proches des victimes considèrent l’opération, estimée à 110 millions de dollars, indispensable au deuil. D’autres continuent de pointer du doigt la corruption des fonctionnaires, notamment au sein des autorités de régulation et des normes de sécurité en deçà des standards internationaux, en plus de la surcharge du navire, de l’incompétence de l’équipage et de la lenteur des secours déjà dénoncés par la commission d’enquête comme principaux responsables de la catastrophe.
Plus généralement, au-delà du directeur de la compagnie, propriétaire du navire, et des personnels de bord, dont le capitaine, déjà jugés et condamnés, c’est tout un système qu’il faut remettre en cause, estiment les familles des victimes, pour que plus jamais un tel drame ne se reproduise.
Désorganisation des secours
Il est 9h40 ce 16 avril 2014. « Opération de secours en cours sur un ferry à destination de l’île de Cheju » indiquent les réseaux sociaux coréens repris par RFI. Information confirmée dix minutes plus tard sur le compte Twitter de l’agence sud-coréenne Yonhap qui précise que 450 passagers sont à bord. La ronde des télévisions locales prend alors le relais montrant la lente disparition du navire avalé par la mer de Jindo, l’archipel situé à la pointe sud de la Corée du Sud était connu autrefois pour ses chiens jaunes, il est désormais marqué à tout jamais par la tragédie.
L’image du bulbe bleu de l’étrave du Sewol dépassant de la surface continue aujourd’hui de hanter les familles des victimes. C’est aussi devenu le symbole de l’inefficacité des secours. Pendant plus de 24 heures, des dizaines de lycéens et leurs accompagnateurs sont restés prisonniers dans les étages du ferry, alors que la plupart des membres d’équipage, à commencer par le capitaine, avaient déjà quitté le bord. Les plongeurs bénévoles, venus de toute la Corée pour porter secours aux jeunes prisonniers du navire, vont également dénoncer un manque d'organisation dans les opérations de sauvetage. L'un d'entre eux, devenu héros pour avoir sauvé une dizaine de lycéens, a même tenté de se suicider : « Dès que je ferme les yeux ou que je regarde une fenêtre, je vois les visages des enfants piégés à l'intérieur du bateau », a t-il confié à l'AFP.
Lourdes peines de prison
Pont surchargé, défaillances humaines, le directeur général de l’armateur et quatre officiers de bords ont depuis été condamnés à de lourdes peines de prison. Le patriarche du chaebol qui contrôle la compagnie maritime a été retrouvé mort le 12 juin dernier, alors qu'il était recherché par la police. Sa fille Yoo Som-na est détenue en France depuis mai et conteste son extradition vers la Corée, alors que des malversations sont évoquées par les enquêteurs pour expliquer des carences en matière de sécurité. Tous ces dysfonctionnements ont semé le doute dans l’opinion.
Un an après le naufrage, la société coréenne est toujours divisée. Les plus conservateurs accusent la gauche d’instrumentaliser la tragédie et estiment qu’il faut aller de l’avant. Hors de question, rétorquent les familles et les progressistes. Un an après le naufrage, les Coréens tentent toujours de comprendre comment la douzième économie du monde a pu vivre un tel drame.