Hong Kong: «ces mouvements vont très certainement reprendre position»

Une accalmie règne, lundi 6 octobre, sur Hong Kong, l’ancienne colonie britannique où de nombreux militants pro-démocratie ont renoncé à leur mouvement d’occupation. Une démobilisation sur fond d’ultimatum des autorités après les troubles sur plusieurs sites de protestation. Entretien avec Jean-François Huchet, spécialiste de l’Asie, professeur des universités à l'Institut national de langues et civilisations orientales (Inalco), et ancien directeur du Centre d'études français sur la Chine contemporaine (CEFC).

RFI : Est-ce que la démobilisation de ces dernières heures marque la fin du mouvement ?

Jean-François Huchet  : C’est encore trop tôt pour le dire. L’utilisation de la force le week-end dernier avait d’une certaine manière amené une mobilisation qui était beaucoup plus forte que ce qu’on avait escompté au début du lancement de ces initiatives. Aujourd’hui, il va y avoir aussi d’autres batailles, notamment une bataille pour faire passer le texte qui a été proposé par le gouvernement central devant l’Assemblée législative locale. Cela risque dans les mois à venir de faire une nouvelle fois des remous. Il risque d’y avoir d’autres opportunités pour tous ces mouvements qui ne sont pas coordonnés, - il faut le rappeler, il n’y a pas vraiment de leader. Ils vont, dans les mois à venir, très certainement reprendre position.

Est-ce qu’un facteur particulier a pesé dans cette démobilisation ? Certains évoquent la fatigue, l’ultimatum des autorités ou bien même ces troubles qui avaient eu lieu vendredi et samedi, avec des contre-manifestants parfois violents ?

Très certainement, tous ces éléments ont dû jouer un rôle dans la démobilisation qui est survenue ce week-end. Je crois que c’est surtout la fatigue, peut-être aussi certaines informations internes puisqu’on a vu ce week-end des personnalités très importantes, notamment dans le monde de la justice ou des présidents des universités appeler les étudiants à rentrer car leur sécurité était en jeu. Donc il est possible aussi que tous ces appels aient été entendus. De la part des étudiants, il n’y a peut-être pas uniquement un sentiment de démobilisation. Peut-être est-ce aussi une pause pour voir comment continuer le mouvement dans les jours et les semaines à venir.

Même s’il reste encore des centaines d’irréductibles encore mobilisés ?

Oui. Encore une fois, c’est un mouvement qui avait plusieurs têtes, qui n’avait pas de leader. Donc il y a des dissensions fortes à l’intérieur de ces mouvements et certains ont décidé effectivement de continuer à occuper un certain nombre d’endroits stratégiques. Mais cela dit, visiblement, les mobilisations auxquelles on a assisté lors de ces derniers dix jours, ne semblent pas vouloir maintenant continuer. Et le soutien massif de la population qu’on avait vu le week-end dernier, pour l’instant, n’est plus à l’ordre du jour. Cela dit, ça ne veut pas dire que la population a complètement renoncé à dire son mot sur ce projet qui a été envoyé de Pékin sur le système électoral pour le chef de l’exécutif.

Quel bilan pour celui que la foule conspuait dans la rue, le chef de l’exécutif : est-ce qu’il est en sursis, ou bien, à l’inverse, sort-il renforcé de ce bras de fer ?

Je ne pense pas qu’il sorte renforcé de ce bras de fer. Pour lui, c’est un échec. Les étudiants ont même refusé de discuter avec lui. C’est la numéro 2 de l’administration qui est sortie. Il y a peu à attendre de Pékin dans les jours à venir en ce qui concerne sa démission parce que Pékin ne va pas lui demander de partir tout de suite. Mais je crains qu’il subisse le même sort que le premier chef de l’exécutif, Tung Chee-Hwa, - qui avait dû après les manifestations massives en 2002, au moment où Pékin avait voulu imposer une loi anti-subversion, qui avait mis près d’un million de personnes dans les rues -, je crains que le chef de l’exécutif Leung Chun-ying ne subissent le même sort. Peut-être dans quelques mois, on fera sauter le fusible pour mettre quelqu’un qui devrait poursuivre ce projet de loi électorale dans l’île de Hong Kong.

Vous parliez d’une prise de parole et de conscience du territoire des universitaires. Est-ce qu’il y a également une forme de raison qui l’a emporté pour tous ceux qui disaient « on met l’économie du territoire en péril » ?

Il y a des dissensions, le territoire est très concentré, très ramassé. On a vu que lorsque les étudiants ont occupé les points stratégiques de Hong Kong, ce sont des choses auxquelles les Hongkongais ne sont absolument pas habitués, et notamment le monde des affaires, autour de Central. Donc il est évident qu’il y a une partie de la population qui n’était pas très contente que ce mouvement perdure. Cela dit, encore une fois, le massif soutien populaire qu’on a vu le week-end dernier montre bien qu’il y a une grande majorité de la population de Hong Kong qui souhaite qu’il y ait un changement de la part de Pékin, que Hong Kong soit écoutée sur cette question de l’avancée démocratique du système politique local.

Est-ce qu’il y a aussi un changement de prise en considération des aspirations d’une certaine jeunesse ?

Là, c’est bien évidemment la grande découverte et je dirais presque l’incompréhension totale pour Pékin. Les jeunes qui n’ont pas connu la rétrocession ou qui sont nés au moment de la rétrocession qui n’ont pas connu Tiananmen en 1989, ont été bercés justement dans ces commémorations du 4 juin 1989. On les avait vus sortir il y a deux ans au moment où Pékin avait souhaité appliquer un certain nombre de mesures sur l’éducation patriotique. Ils avaient refusé ces propositions. Donc on a toute une jeune génération qui souhaite, non seulement poursuivre les libertés à Hong Kong mais aussi pouvoir faire évoluer Hong Kong vers un système plus démocratique. Donc là, de la part de Pékin il va falloir justement, face à cette jeune génération, trouver autre chose que ce que ces dernières mesures qui viennent d’être annoncées depuis le printemps dernier.

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