Trois ans après la dissolution de la junte, la marche de la Birmanie vers la démocratie ne convainc pas la communauté internationale. Les droits de l’homme devraient donc faire partie des sujets brûlants abordés ce vendredi à Naypyitaw, la capitale politique birmane, dans le cadre des rencontres de l’Asean organisée jusqu’à samedi dans la patrie d’Aung San Suu Kyi. La célèbre opposante qui ne peut d'ailleurs actuellement pas être candidate à l’élection présidentielle, selon un article de la Constitution que l’opposition peine à faire changer.
Haine des musulmans et violences religieuses
En 2012, les Etats-Unis et l’Union européenne avaient décidé de lever la plupart des sanctions pesant contre la Birmanie depuis les années 1990. Si le but était alors d’encourager les réformes du nouveau gouvernement, deux ans après, les changements attendus ne sont pas là. Dans le pays, les violences spécialement religieuses inquiètent.
Mireille Boisson, coordonnatrice pour la Birmanie à Amnesty international, insiste ainsi sur les agissements du moine bouddhiste extrémiste Ashin Wirathu, qui s’en prend aux musulmans. Des violences qui ont commencé il y a deux ans et qui éclatent souvent pour les même motifs. « C’est souvent lié à un 'viol' : des musulmans ont violé une bouddhiste, et, bizarrement, il y a toujours le même moine intégriste dans le coin, avec sa bande de types qui arrivent en moto. Les musulmans sont alors attaqués. On brûle les maisons, on tue les gens ». Ce moine, c’est Ashin Wirathu, souvent qualifié de « Ben Laden bouddhiste ». « Un extrémiste, et il ne faut surtout pas dire que tous les bouddhistes sont comme Ashin Wirathu », insiste Mireille Boisson qui s’inquiète surtout du fait qu’« il semble que le gouvernement n’a pas la volonté de mettre fin à ces agissements et incitations à la haine. »
Depuis 2012 ces violences ont fait plus de 250 morts dans le pays. « Cette haine des musulmans, qui s’est manifestée d’abord dans l’Etat d’Arakin, se répand malheureusement un peu partout sous l’influence de bouddhistes extrêmement fanatisés », s’alarme la coordonnatrice pour la Birmanie à Amnesty International.
Espoirs déçus
Amnesty International espère que le secrétaire d’État américain John Kerry, qui sera présent aux réunions de l'ASEAN, exigera la fin de l’impunité des auteurs de ces crimes.
Par ailleurs, Amnesty international reconnaît que le gouvernement birman a « essayé d’évoluer très vite », notamment en terme de droit de la presse, mais s’« il n’y a plus de censure, par contre, les journalistes ont tendance à s’auto-censurer », note Mireille Boisson.
Autre sujet d’inquiéude d’Amnesty : les conflits ethniques aux frontières. « On a espéré qu’il y aurait très vite des cessez-le-feu dans tous les conflits avec les zones ethniques sur les frontières. Il y a un certain nombre de cessez-le-feu, mais il y a encore des armées ethniques qui résistent, car elles ne veulent pas simplement déposer les armes, mais avoir un dialogue politique pour leur avenir, et c’est tout à fait compréhensible. »
Un mouvement pour faire évoluer la Constitution
La question des droits de l’homme en Birmanie commence à mobiliser dans le pays. En mai dernier, l'opposition a lancé une pétition pour réformer la Constitution du pays et assure avoir récolté 5 millions de signatures, soit un quart du corps électoral birman. Le but de la pétition est de permettre à Aung San Suu Kyi de briguer la présidence en 2015. Mais, pour le moment, un article de la Constitution lui barre la route : celui qui interdit aux personnes ayant un époux ou des enfants étrangers de devenir président. Or, la dame de Rangoun a été mariée à un Britannique et ses deux enfants ont la nationalité anglaise.
Se pose alors la question de la procédure : pour modifier la Constitution, il faut obtenir le vote de 75% des députés. Mais les militaires disposent d'office d'un quart des sièges. Ils peuvent donc bloquer toutes modifications favorables au prix Nobel de la paix. C'est pourquoi la pétition réclame la réduction du poids des militaires au Parlement. Mais la route vers la démocratie risque d'être longue. La Commission chargée d'étudier les révisions constitutionnelles soutient les militaires. Elle prévient déjà qu’elle ne se laissera pas influencer par la pétition. Quoi qu'il en soit, l'opposition se félicite du succès de son initiative. Pour elle, la mobilisation marque un éveil de la conscience politique de la population.