Avec notre correspondant à Séoul, Frédéric Ojardias
Les Choco Pie passent au Nord à travers la zone industrielle intercoréenne de Kaesong. Cette zone, située sur la frontière, est l’unique endroit où Nord et Sud-Coréens sont autorisés à travailler ensemble. Quelque123 entreprises du Sud y emploient 53 000 ouvriers du Nord. Lors de sa création, les patrons sud-coréens avaient pris pour habitude de donner à leurs ouvriers ces fameux Choco Pie, des biscuits très populaires au Sud. Ils se sont alors rendu compte que les Nord-Coréens ne mangeaient pas ces biscuits, mais préféraient les garder pour revendre sur le marché noir : leur texture moelleuse et leur goût ultra-sucré les ont rendus très populaires au Nord aussi. Ils se sont peu à peu répandus à travers tout le pays.
Une gourmandise non taxée
Sur les marchés nord-coréens, cinq Choco Pie permettent d’acheter un kilo de riz. C’est une fortune par rapport aux salaires officiels. Et si les ouvriers de Kaesong voient la majeure partie de leur salaire captée par le régime, ces fameux Choco Pie, eux, ne sont pas « taxés ». Ils sont donc devenus un salaire déguisé : les entreprises sud-coréennes donnent près de dix Choco Pie par jour et par ouvrier. Quelque 400 000 gâteaux sont ainsi distribués chaque jour dans la zone de Kaesong !
Une menace pour le régime?
Mais les autorités nord-coréennes de Kaesong viennent de demander à ces entreprises de cesser ces distributions. Les Choco Pie semblent être considérés comme une menace pour le régime de Kim Jong-un. Car ils sont devenus un symbole éclatant de la prospérité du voisin sud-coréen, et de sa supériorité économique. Ces gâteaux au chocolat tout simple viennent ainsi saper une propagande nord-coréenne qui veut faire croire à sa population que la Corée du Sud ennemie est un enfer sur terre, et que les dirigeants nord-coréens sont les meilleurs du monde. Ces dirigeants, inquiets pour leur légitimité, ont donc décidé d’interdire ces biscuits. Ils ont même essayé de produire une version nord-coréenne du Choco Pie et ont construit une usine dans ce but. Un échec : la version communiste du gâteau n’est pas aussi savoureuse que son concurrent capitaliste…
A la place, de la viande ou des dollars
A la place des Choco Pie, les autorités nord-coréennes de la zone industrielle de Kaesong ont exigé des entreprises sud-coréennes de la viande ou des dollars, plutôt que des gâteaux. Mais selon plusieurs analystes, ce combat contre les produits sud-coréens au Nord est perdu d’avance : d’autres produits alimentaires made in Korea, tels que le café au lait ou les nouilles précuites, deviennent de plus en plus populaires au Nord, et il sera très difficile de faire cesser leur distribution.
Le régime a de plus en plus de mal à maintenir le couvercle : les Nord-Coréens regardent depuis des années en cachette, via des DVD, des films et des feuilletons sud-coréens. Ils savent que le Sud vit dans l’opulence. La légitimité du régime s’effrite donc inexorablement, malgré les tentatives de ses dirigeants pour maintenir la population coupée du monde extérieur. Des tentatives désespérées, à en juger par cette interdiction d’inoffensifs gâteaux au chocolat.