Cambodge: le succès de la nouvelle antenne de RFI

Il y a un an, RFI choisissait de bouleverser le fonctionnement de son antenne en khmer, en passant de 1 à 13 heures quotidiennes, et en créant une nouvelle rédaction installée au Cambodge. A l’heure des bilans, il s’agit d’une réussite, qui s’explique par un contexte politique et médiatique particulier.

Avant le 3 juin 2013, une unique heure était consacrée quotidiennement au khmer dans les programmes de RFI au Cambodge. Grâce à l’installation d’une quinzaine de personnes dans une rédaction locale à Phnom Penh sous la direction de Jean-François Tain, ce sont 13 heures qui sont à présent dédiées à la langue khmère. L’antenne est donc bilingue, avec une tranche horaire de 7h à 20h où domine le khmer. La ligne éditoriale reste fixée à Paris, où travaillent cinq personnes, dirigées par Dyna Seng.

Un pari devenu un succès

« En 2013, l’audience périclitait lors de l’heure en langue cambodgienne », explique Patrice Martin, adjoint à la directrice de RFI pour les langues étrangères. Avec cette refonte des programmes, l’objectif qui était alors fixé était de 1 million d’auditeurs hebdomadaires en trois ans, voire cinq si nécessaire. Or en six mois, ce chiffre était quasiment atteint, l’audience ayant été multipliée par neuf! « Trois heures d’information par jour [en khmer] donnent à RFI plus de temps pour parler aux gens, c’est mieux qu’avant », déclare Ren Rattanak, journaliste au site d’information en ligne Thmei Thmei. La notoriété de RFI a également fortement augmenté, de 14 à 52 % entre 2011 et 2014.

Cette augmentation de l’audience radio s’accompagne de celle de la fréquentation du site internet en khmer, mis à jour régulièrement et non plus toutes les 24 heures. Par rapport à 2012, deux fois plus de visites mensuelles en moyenne sont recensées en 2013, avec 405 000 visites contre 192 000 auparavant, six mois seulement après le lancement du nouveau site. Pour 2014, Patrice Martin estime pouvoir tabler sur 500 à 600 000 visites mensuelles. « Les fréquentions sur les réseaux sociaux ont explosé », ajoute-t-il. La page Facebook de RFI khmer compte à ce jour 292 000 fans.

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Un public en demande d’information

Le gouvernement cambodgien se considère dans un environnement doublement hostile, avec le parti d’opposition d’une part, et les médias américains comme Voice of America ou Radio Free Asia d’autre part. Ces derniers ont historiquement une ligne éditoriale d’opposition très frontale, ce qui n’est pas le cas de RFI. « Le gouvernement a intérêt à laisser RFI faire son travail correctement dès lors qu’on ne prend pas parti », expose Patrice Martin. Ce qui n’empêche pas les partisans du Parti du peuple cambodgien comme ceux de l’opposition de questionner cette impartialité. « Les critiques viennent de partout, ce qui est plutôt un bon signe », déclare avec humour Dyna Seng. La crise postélectorale que connaît le Cambodge a permis à RFI de faire entendre son traitement impartial de l’information.

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Or, le manque d'indépendance des médias cambodgiens est un problème. Les chaines de télévision et de radio en particulier, mais aussi la presse écrite, sont en grande partie inféodées au Parti du peuple cambodgien au pouvoir. C’est le cas du conglomérat Cambodian Television Network, ou de la chaine d’information en continu Cambodian News Channel, qui sont dirigés par des hommes d’affaires proches du gouvernement. De nombreux Cambodgiens se tournent donc vers les médias étrangers, parmi lesquels RFI, mais aussi les radios étrangères Radio Free Asia, Voice of America ou Radio Australia. La multitude de radios locales assure une retransmission à l’échelle nationale. « A la campagne, les gens n’ont pas de smartphone, pas internet, juste une radio, explique Ren Rattanak. Ils peuvent donc suivre RFI. »

Un secteur médiatique en évolution

Ren Rattanak juge positive l’évolution du secteur des médias : « Il y a beaucoup plus de radios, de télés, de journaux, de sites d’information en ligne, il y a Facebook ». Gratuits, réactifs, les sites d’information en ligne concurrencent les médias traditionnels, dont les ventes baissent. Ceux-ci réagissent, mais « beaucoup n’ont pas de stratégie multimédia », considère Dyna Seng. Certains n’ont pas de site internet, d’autres se contentent de transposer tel quel leur contenu sur le web. Beaucoup de Cambodgiens préfèrent également se renseigner par les réseaux sociaux, pour éviter de dépendre de médias partisans.

Cependant, le milieu journalistique cambodgien est peu professionnalisé et manque d’esprit critique, ce qui rend difficile le recrutement de bons journalistes. Les réseaux sociaux sont le lieu de propagation de toutes les rumeurs non vérifiées. « Le journalisme indépendant est peu répandu », estime Dyna Seng. Parmi ces médias nouvellement apparus, le site Thmei Thmei se distingue par la qualité de son contenu. Ren Rattanak se montre optimiste sur la situation des médias au Cambodge, pointant un changement d’état d’esprit. « Avant les gens n’aimaient pas les journalistes. Maintenant, ils veulent savoir, analyse-t-il. Les hommes politiques veulent montrer leur activité, ils veulent parler aux journalistes. Il y a plus de liberté. »

Une chance pour la francophonie

« On peut espérer que si RFI acquiert une audience et une notoriété, cela favorisera la sauvegarde de la langue française », explique Patrice Martin, qui considère le voisinage avec la langue française un moyen plus subtil d’entretenir la francophonie. Développer en parallèle une information dans la langue du pays permet de se rapprocher des préoccupations locales. C’est également l’avis de l’Organisation internationale de la francophonie, dont des membres en visite dans les locaux de RFI au Cambodge ont fait part de leur soutien à ce voisinage des deux langues. De plus, pour répondre aux attentes du public francophone, RFI s’est vu accorder par le gouvernement cambodgien l'autorisation d'ouvrir une seconde fréquence, entièrement en français, sur 88.5FM.


« C’est toi qui décide de tout »

C’est à Frédéric Le Breton, adjoint du responsable ingénierie des infrastructures et outils métiers, qu’est revenue la tâche de créer matériellement l’espace de la nouvelle antenne. « Je me suis occupé de A à Z de toute l’installation », explique-t-il. « Quand je suis arrivé, il fallait trouver des locaux. On nous a proposé 200m² d’espace dans la Canadian Tower, au 21ème étage. » Les contraintes sont présentes, « et je ne pouvais pas voir un seul angle » déclare Frédéric Le Breton, qui a donc du faire des compromis avec les architectes. Autre problème : « ils ne voulaient pas d’antenne sur le toit ». Il a donc fallu créer un branchement en fibre optique jusqu’à Paris, en partenariat avec Télécom Cambodia. « Je voulais vraiment faire travailler les gens locaux », déclare Frédéric Le Breton, qui a donc acheté tout le matériel sur place, auprès de revendeurs locaux. Pour ce projet, son expérience passée lui a été bénéfique : « Je me suis bien servi de ce que j’avais fait au Nigéria, en Tanzanie ». Et malgré les contraintes, il se montre satisfait du résultat : « l’espace est bien, avec une vue imprenable sur Phnom Penh ».

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