RFI : Qui est aujourd’hui en position de force à Bangkok ?
Jean-Louis Margolin : Comme cela s’est passé à de nombreuses reprises ces derniers mois, on a eu une situation qui paraît très incertaine, sans que qui que ce soit ne prenne vraiment le dessus. Ce que l’on peut dire, pour résumer en quelques mots cette situation compliquée, c’est que dans l’opinion thaïlandaise en général, c’est plutôt le gouvernement en grande difficulté de l’ancienne Première ministre Yingluck Shinawatra qui a la faveur de la majorité de l’opinion. Et donc toute nouvelle élection, comme cela s’est passé à plusieurs reprises dans le passé, pourra lui être favorable. Mais dans le cas précis de Bangkok - le principal pôle du développement de la Thaïlande et de l’endroit qui évidemment en Thaïlande concentre la grande majorité à la fois des grandes fortunes et des classes moyennes - le gouvernement est minoritaire, c’est plutôt l’opposition qui a le dessus. Et la force qui pourra présenter un peu la balance, le juge de paix en quelque sorte, entre ces deux grandes tendances, c’est finalement l’armée qui a souvent été au pouvoir dans l’histoire de la Thaïlande.
Il y a de multiples signes comme quoi cette armée penche plutôt en faveur de l’opposition. En faveur de ceux qui aujourd’hui revendiquent un renversement complet non seulement du gouvernement, mais même du système électoral thaïlandais, et qui sont les « chemises jaunes ». En même temps, cette armée - qui sait très bien qu’à la fois, pour des raisons intérieures, parce que dans le passé son bilan au pouvoir n’a pas été spécialement brillant, et puis pour des raisons internationales, parce qu’évidemment on n’est plus quand même à l’époque où un coup d’Etat militaire pourrait passer comme une lettre à la poste aux yeux des grands partenaires de la Thaïlande, elle reste très prudente et aimerait bien que les choses se règlent un peu plus à l’amiable sans avoir à intervenir directement.
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C'est donc une situation qui est relativement bloquée : ceux qui sont du côté du gouvernement essayent surtout de ne pas en faire trop pour ne pas donner un prétexte quelconque à l’armée pour intervenir. Et ceux qui sont en face jouent plutôt le jeu inverse, mais en sachant là aussi qu’il vaut mieux ne pas aller trop loin pour ne pas les déconsidérer exagérément aux yeux d’une grande partie de l’opinion des campagnes thaïlandaises et de l’opinion internationale.
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Est-ce que la perspective d'élections le 20 juillet est crédible ?
Pas véritablement. On a déjà eu des élections il y a très peu de temps, en février, qui ont tout simplement été bloquées dans à peu près 10% des bureaux de vote. Et ça a suffi pour que la Commission électorale suprême annulent ces élections. Dans l’état actuel des choses, l’opposition continue à se penser, sans doute à juste titre, en situation de faiblesse vis-à-vis de la masse de l’opinion des campagnes qui est largement majoritaire à l’échelle du pays. L’opposition l’a dit assez clairement, elle n'est pas d’accord pour participer à de nouvelles élections. Elle propose plutôt un gouvernement provisoire,- ce qu'elle appelle un peu par antiphrase, le Conseil du peuple, compte tenu du fait que le peuple est plutôt de l’autre côté quand même à tort ou à raison - et puis un changement carrément du système électoral qui permettrait d’une façon ou d’une autre d’annuler cette majorité rurale dans les instances électives. Certains sont allés jusqu’à même parler de l’annulation du suffrage universel, ce qui est une revendication assez rare à notre époque, et encore plus rare pour des gens qui parlent de démocratie, qui sont dirigés par un parti qui s’intitule « démocrate », de façon à fausser définitivement le résultat de la faveur populaire que continue envers et contre tout à garder le parti actuellement au pouvoir.
*Jean-Louis Margolin est l’auteur de Violences et Crimes du Japon en Guerre 1937-1945 (Hachette Littératures).