Chine - Taiwan: rencontre et accord historiques

Des pourparlers historiques ont débuté ce mardi 11 février à Nankin, l'ancienne capitale chinoise. Pour la première fois, de hauts responsables chinois et taïwanais se rencontrent officiellement depuis la séparation des territoires en 1949. Et dès le premier jour des discussions, qui devraient s'étaler sur quatre jours, les deux diplomaties sont parvenues à un accord, historique lui aussi, puisqu'il prévoit «dès que possible» l'établissement d'un bureau de liaison dans chaque territoire.

Ces discussions sont un grand pas en avant dans la normalisation silencieuse des relations entre les deux Chine, entamée officieusement il y a une vingtaine d'années. Mais pour autant, les sujets politiques ne sont pas à l'ordre du jour.

Rien n'a été laissé au hasard pour cette première rencontre officielle entre Taipei et Pékin. Dans le choix de la date, par exemple, qui coïncide avec le Yuan Xiao - la fête des lanternes - qui est célébrée le 15e jour du premier mois de l'année lunaire. Une fête synonyme pour les Chinois de réconciliation et de réunion des familles.

Ensuite le lieu, hautement symbolique lui aussi. Nankin a été jusqu'en 1949 la capitale chinoise, dirigée à l'époque par les nationalistes du Kuomintang, qui après leur défaite face aux communistes ont été contraints de fuir et de s'installer à Taïwan.

La création de bureaux de représentation à Taipei et Pékin est en fait la suite logique des relations officieuses que Taïwan et la Chine entretiennent depuis plus de 20 ans. Les deux gouvernements ont créé au début des années 1990 des agences chargées de négocier en leur nom.

A Taïwan, on pressentait déjà la croissance économique fulgurante de la Chine et les milieux d'affaires taïwanais s'intéressaient de très près à la signature d'un accord-cadre de coopération économique, ce qui a été fait en 2008, dès l'arrivée au pouvoir de l'actuel président Ma Ying-jeou. La majorité taïwanaise avait bien accueilli à l'époque une politique de rapprochement avec la Chine. Des lignes aériennes et maritimes directes ont été créées entre les deux rives du détroit.

Tout au long de ces vingt dernières années, les deux parties ont déployé d'importants efforts pour panser les plaies de la guerre civile. Mais ces efforts n'ont pas permis de rapprocher les avis très divergents sur les questions stratégiques, et notamment celle de la réunification.

La création de bureaux de liaisons, dont la date n'a pas été fixée, permettra certainement d'intensifier les relations entre les deux Chine. Ces bureaux auront pour tâche de régler de nombreux problèmes liés à l'importante communauté taïwanaise en Chine (évaluée à environ 2 millions de personnes) et au nombre chaque jour plus croissant de Chinois présents sur le territoire Taïwanais.

Mais au-delà du règlement de ces questions pratiques et consulaires, de nombreuses autres questions restent en suspens. Comme celle du statut du personnel de ces bureaux de liaisons, leurs domaines de compétence, la question de la préservation des secrets, en somme tout ce qui est lié au travail d'une ambassade.

Normalisation des relations oui, mais pas à n'importe quel prix

Pour Pékin, renouer des contacts directs entre les ministères des deux gouvernements a pour unique objectif d'aborder les questions politiques. Jusqu'ici, le président taïwanais Ma Ying-jeou avait repoussé toute ouverture de pourparlers politiques, craignant de voir la marge de manoeuvre de Taipei diminuer et de se retrouver contraint de négocier sur la question de la réconciliation. Aujourd'hui, la tendance à Taipei est à la prudence.

On estime que le président est allé trop loin dans le rapprochement avec la Chine populaire et qu'il faut mettre un frein aux négociations. Mais surtout, on veut éviter d'engager des discussions politiques sans avoir réglé au préalable les problèmes de sécurité qui touchent l'île, notamment la menace des armes de l'Armée populaire de libération avec ses 784 missiles braqués sur Taiwan (de source taïwanaise).

Taïwan aspire à une normalisation des relations avec la Chine, tout en restant en dehors de la Chine populaire. Mais il n'a aucune chance de voir son indépendance de fait reconnue par la Chine.

La multiplication des liens, économiques, sociaux et humains avec le continent modifie la donne et rendent Taïwan de plus en plus dépendant dans une relation très asymétrique (23 millions d'habitants à Taiwan, 1 milliard 300 millions en Chine).

Pour Jean Pierre Cabestan, sinologue et professeur à l'université baptiste de Hong Kong, « Il faut se méfier des apparences et surtout essayer d'identifier les pièges derrière les sourires ». La rencontre est certes positive, la normalisation sous-entend une reconnaissance de l'autre. Mais le piège, c'est que cette reconnaissance est « vouée à être incomplète » et que « les Chinois ont cette idée derrière la tête : forcer les Taiwanais à engager des pourparlers politiques pour aboutir à terme à la réunification ».

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