Article régulièrement mis à jour avec notre correspondant à Bangkok,
Des milliers de manifestants antigouvernementaux ont été autorisés à s’approcher du siège du gouvernement dont ils font le siège depuis plusieurs jours, ce mardi 3 décembre dans la matinée. Les forces de l’ordre qui, jusque-là, étaient retranchées derrière des barricades de béton et de fils barbelés, ont laissé les contestataires franchir leur barrage.
Les policiers se sont assis et ont laissé faire. La foule a alors emprunté la rue menant au siège du gouvernement, qui n’était alors plus protégé que par une simple grille. Puis elle a ensuite investi en masse les locaux. Est-ce l'approche de la date du jeudi 5 décembre, jour du 86e anniversaire du vénéré roi Bhumibol Adulyadej, qui suscite une telle issue ?
Fraternisation entre manifestants et policiers
Les forces de l’ordre ont également laissé passer les manifestants qui encerclaient les rues adjacentes au siège de la police de Bangkok. Des scènes de fraternisation entre manifestants et forces de l’ordre ont eu lieu. Le chef de la police, le lieutenant général Kamronwit Thoopkrajang, a affirmé dans la matinée que ses troupes ne s’opposeraient pas à l’entrée des manifestants dans le complexe des services de police, car le quartier général « appartient au peuple ».
Frédéric Belge, l'un de nos correspondants à Bangkok, a assisté à des scènes qu’il décrit comme surréalistes. Les manifestants, qui luttaient de manière très dure depuis neuf jours face au gouvernement de Yingluck Shinawatra, ont été accueillis au siège de la police par des cadets et cadettes leur tendant des roses rouges. Des scènes qui se sont jouées dans un véritable flottement. Pour l'instant, les journalistes et les spécialistes qui étudient la situation s'interrogent tous sur la signification de ce soudain changement de stratégie de la part des forces de l'ordre.
Qui sort vainqueur ?
« En fait, aujourd'hui, personne n'a réellement gagné », juge Than, une employée de 27 ans venue manifester pour obtenir « l'éradication du système Shinawatra ». Au micro de RFI, la jeune femme affirme désormais qu'il s'agit, pour les manifestants, de « juste aller de l'avant », pour obtenir la « fin du système Thaksin ».
Suthep Thaugsuban, le leader de la fronde contre le gouvernement de Yingluck Shinawatra, crie évidemment victoire, puisque son objectif était de « prendre » le quartier général de la police. Objectif rempli, par défaut, étant donné que la police a baissé les armes. Mais le gouvernement a toujours dit, de son côté, qu’il voulait trouver une solution pacifique au conflit.
Par ailleurs, le leader de la fronde antigouvernementale, Suthep Thaugsuban, est toujours sous le coup d’un mandat d’amener. La police pourrait essayer de l’arrêter dans les prochaines heures, ce qui pourrait donner le signal d’un retour des violences.
Bras de fer entre Suthep Thaugsuban et Yingluck Shinawatra
Lundi, un mandat d'arrêt pour « insurrection » avait en effet été émis à l'encontre de Suthep Thaugsuban. Le leader de la contestation, ancien député du Parti démocrate, est un conservateur très controversé. Il est notamment à l'origine de la violente répression des manifestations qui réclamaient la chute du gouvernement au printemps 2010. L'assaut de l'armée contre les « chemises rouges » s'était alors soldé par la mort de 90 personnes et près de 1 900 blessés. Des faits pour lesquels il est d’ailleurs poursuivi sous le chef d’accusation de meurtre.
Dimanche 1er décembre, Suthep Thaugsuban avait rencontré la Première ministre, Yingluck Shinawatra. Mais l’entretien avait débouché sur une impasse.
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Yingluck Shinawatra, qui a donné une conférence de presse télévisée ce mardi 3 décembre, a réitéré son offre de dialogue à l'opposition. Elle a cependant refusé la création d’un éventuel « conseil du peuple », non issu d'élections, que Suthep Thaugsuban souhaite voir se mettre en place pour réformer en profondeur le système politique thaïlandais.
(avec AFP)
■ ANALYSE : Suthep Thaugsuban joue son « va-tout » dans cette épreuve de force avec le pouvoir
Suthep Thaugsuban est connu pour les responsabilités qu’il a exercées dans le gouvernement Abhisit Vejjajiva, au pouvoir entre 2009 et 2011. « Il a eu une activité politique depuis ses jeunes années », explique Sophie Boisseau Durocher, chercheuse associée à l’Asia Centre, qui décrit Suthep Thaugsuban comme « issu d’une famille aisée du sud de la Thaïlande, qui a monté progressivement les échelons. D’abord, il a été maire. Puis il a été député. Il a terminé vice-ministre ». Pour la chercheuse, Suthep Thaugsuban « a démissionné du Parti démocrate afin de ne pas gêner le parti au cas où la contestation qu’il est en train de mener n’aboutirait pas ».
Son objectif : « nettoyer le système »
Aujourd’hui, il « joue son va-tout », son objectif étant « de nettoyer l’ensemble du système thaïlandais de toutes les dérives provoquées depuis la prise de pouvoir de Thaksin en 2000 », analyse Sophie Durocher. Si le bras de fer engagé avec le gouvernement fonctionne, « il pourra être appelé aux plus hautes fonctions de l’Etat », dans le cas contraire, « il sera appelé, dans un avenir assez proche, à l’oubli ».
D’un autre côté, la Première ministre Yingluck Shinawatra « joue véritablement son autorité. C’est-à-dire qu’elle doit vraiment montrer qu’elle est capable de mettre ses actions en œuvre », juge la chercheuse qui, interrogée lundi soir par RFI, estimait encore « possible » l’arrestation de Suthep Thaugsuban.
« Un tribun flamboyant »
Il « se dit qu’il est encore protégé par son immense popularité. C’est un tribun un peu flamboyant, il sait mener les foules, toutefois il est évident que si même Yingluck Shinawatra en arrivait à démissionner - ce qui est fort peu probable à mon avis - lui-même serait ennuyé, parce qu’il n’a pas véritablement de programme politique, au-delà de son conseil populaire, pour diriger le pays », juge Sophie Boisseau Durocher, qui estime que « la Thaïlande aujourd’hui a besoin, au contraire, de gens structurés et visionnaires pour reprendre en main le pays ». Selon la chercheuse, la mise en place d’un conseil populaire « ne serait pas du meilleur effet sur l’économie. »