Troisième plénum du Parti communiste chinois: l'analyse de deux experts

A partir de ce samedi 9 novembre, et pendant 4 jours, le Parti communiste chinois organise son 3e plénum du 18e congrès du parti à Pékin. Deux cents membres du bureau politique se réunissent pour parler des réformes envisageables. Deux experts nous éclairent sur ce qu'il faut attendre de ce plénum dans tous les domaines : politique, économie et social.

Entretien avec Feng Xingyuan, membre de l’académie des sciences sociales et vice-président de l’institut économique Unirul à Pékin : « Réformer l’Etat passe par l’introduction de davantage de démocratie au niveau local. » 

RFI : Le 3ème plénum est censé réduire le poids de l’état dans l’économie, comment y parvenir  ?  

Feng Xingyuan : Cela passe par une décentralisation du pouvoir et une nouvelle réforme de la terre. En Chine, c’est encore le gouvernement qui détient le monopole de l’achat des terres. Une fois repris aux paysans à un prix modeste, le sol est revendu à un prix beaucoup plus élevé aux entreprises immobilières. Le gouvernement est donc en situation de monopole et cela permet de jouer sur l’offre et donc fait grimper les prix.

Cela sert à financer les gouvernements locaux, qui dépensent comme ils le souhaitent les aides de l’Etat central. Souvent ils choisissent de construire un aéroport ou une autoroute. Aujourd’hui 60 % des taxes locales vont directement dans les caisses de l’Etat central. Il faut donc instaurer la démocratie locale.

Si les gouvernements locaux disposent de plus d’autonomie et se mettent à construire de bonnes écoles et de bons hôpitaux au niveau local, les gens s’y déplaceront. On appelle cela voter «avec ses pieds». A ma connaissance, beaucoup de bonnes écoles en Allemagne se situent dans des petites villes.

Il faut aussi protéger davantage les droits des paysans. 

RFI : Cela passe par la création de syndicats de paysans ?  

Les syndicats de paysans sont interdits en Chine. Mao a pourtant commencé sa carrière dans les mouvements paysans. Il était dans la province de Hu Nan pour étudier les mouvements des paysans notamment. A terme, il faudrait pouvoir organiser les syndicats des paysans, mais à condition qu’ils soient vraiment libres. Par exemple, à Taiwan, les syndicats de paysans peuvent remplacer les comités de villages.

RFI : Comment régler le problème de la dette des gouvernements locaux ?  

De nombreuses collectivités sont surendettées. Le taux d’endettement des gouvernements locaux atteignait ainsi 48 % du PNB à la fin de 2012. Pour financer le système social et les retraites, les gouvernements se voient obligés de payer en empruntant. C’est un cercle vicieux, car il faut ensuite produire pour rembourser. La surproduction est déjà une réalité dans de multiples secteurs. Elle atteint 20 % dans l’industrie manufacturière. Pour ce qui est du charbon, le chiffre peut monter jusqu’à 30 ou 50 %. Il faut redonner plus d’initiatives au privé.

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Entretien avec Nicholas Bequelin, porte-parole de Human Right Watch à Hong Kong : « Le défi pour Xi Jinping c’est de créer un espace économique qui va absorber les énergies de la société un peu comme l’avait fait Deng Xiaoping en 1978. » 

Le plénum qui s’ouvre ce samedi est extrêmement important, puisque c’est la première fois que le président Xi Jinping va être entièrement au contrôle de l’appareil du Parti et de l’Etat, pour amorcer un grand plan de réformes est censé résoudre les problèmes que la Chine n’a pas su régler ces dix dernières années.

Jusqu’à présent Xi Jinping s’est montré conservateur sur le plan politique, mais réformateur sur le plan économique. Le plénum est censé démontrer cela en annonçant des réformes économiques importantes.

L’objectif, au-delà du maintien de la croissance économique, c’est de répondre aux aspirations de la société chinoise, avec une opinion de plus en plus rétive à l’arbitraire et au manque de transparence qui caractérise le régime. On a pu remarquer l’extrême soif d’information de la population ainsi qu’un attachement sinon à un Etat de droit au moins à un système basé sur le droit et non sur l’arbitraire.

Mais là, on a pu constater à regret que Xi Jinping avait envoyé des signaux plutôt négatifs en renforçant notamment la censure sur Internet et en s’attaquant à des commentateurs individuels qui ont un très grand nombre d’abonnés. Des attaque ont aussi été menées contre les journalistes avec des pressions sur les rédactions pour qu’elles rentrent dans le rang.

RFI : Si je comprends bien, vous avez peu d’espoir quant aux réformes de société que pourrait apporter cette troisième session plénière ?  

Xi Jinping ne veut pas courir de risques politiques et maintient une ligne dure. On ne voit donc pas poindre de réformes sur ce plan au plénum ni même une nouvelle ligne qui donnerait plus d’assise à la société civile pour demander un système judiciaire plus équitable, une moins grande disparité des revenus et une plus grande liberté d’information.

RFI : Est-ce que ces réformes sont un luxe ? N’y a-t-il pas un risque de désespérance de la population ?

 Les tensions dans la société chinoise sont de plus en plus vives. Il y a beaucoup d’incidents sociaux dans lesquels la population se retourne contre la police, contre le siège du Parti communiste contre les autorités. Malgré cela, l’Etat et le Parti conservent une marge de manœuvre assez importante. Le défi pour Xi Jinping et le nouveau leadership est de créer un espace économique qui va absorber les énergies de la société un peu comme Deng Xiaoping l’avait fait à la sortie de l’ère maoïste en 1978. Il s’agit donc d’acheter du temps pour le régime, en canalisant les énergies sociales vers l’enrichissement plutôt que vers des revendications politiques.
 

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