Avec notre envoyé spécial à Jinan, Stéphane Lagarde
Chemise blanche, rasé de près, Bo Xilai se tient debout entre deux policiers. Cette première photo est apparue à 11 h 30 ce matin (heure chinoise) sur le compte officiel Weibo - le Twitter chinois - du tribunal de Jinan. C’est la première image du dirigeant déchu depuis son interpellation il y a 18 mois. Elle a été « tweetée » par les autorités judiciaires sur Internet.
C’est la nouveauté de ce procès : les journalistes, hors médias officiels, ne sont pas admis à l’audience, mais les informations sont diffusées sur le réseau social Sina Weibo qui compte près de 300 millions d’abonnés. Le compte officiel du tribunal affichant près de 200 000 abonnés, trois heures seulement après l’ouverture du procès.
Bo Guagua cité dans les charges
Le compte officiel de la cour intermédiaire numéro 3 de Jinan est pris d’assaut. A la mi-journée, il affichait près de 250 000 abonnés. En moins de 40 minutes, la photo de Bo Xilai s’inscrit en troisième position des messages les plus repostés. De nombreux internautes s’empressant de commenter les images venues du tribunal et notamment la taille des policiers « géants » entourant le « grand Bo Xilai ». L’ancien secrétaire du Parti communiste de Chongqing mesure 1m84 selon la biographie officielle. « Ils ont dû trouver des policiers d’au moins 2 mètres pour diminuer Bo », ironise Zhanhao, expert de la finance et écrivain.
Selon l’acte d’accusation lu ce matin devant l’accusé, « Bo Xilai aurait reçu près de 2,6 millions d'euros entre 1999 et 2012 (…) Ces pots-de-vin lui ayant été versés soit directement, par l'intermédiaire de Gu Kailai [sa deuxième épouse, ndlr], soit encore via Bo Guagua. » C’est la première fois que le fils de Bo Xilai est ainsi directement accusé. Dans un communiqué diffusé à la presse à la pause déjeuner, le porte-parole du tribunal précise toutefois que ce dernier « ne fait pas l’objet d’une enquête ».
Confession à contrecœur
D’autres noms ont également été évoqués dans les charges qui pèsent sur le dirigeant déchu, dont celui de Xu Ming. Bo Xilai a rencontré son ami et richissime homme d’affaires à Dalian, la ville du nord-est du pays dont il est devenu maire en 1992. Xu Ming serait le premier pourvoyeur de pots-de-vin dans cette affaire. L’autre nom cité étant celui de Tang Xiaoling, ancien camarade d’usine de Bo pendant la Révolution culturelle. Est-ce en raison des accusations contre son fils ?
Bo Xilai a nié une partie des charges qui lui sont reprochées et notamment les 1 109 446 yuans (135 000 euros) que lui aurait donnés Tang Xiaoling, devenu homme d’affaires lui aussi depuis. « J’ai fait une confession au comité de discipline du parti à contrecœur, a affirmé Bo Xilai. J’ai voulu assumer mes responsabilités légales, mais à ce moment-là je n’étais pas au courant des détails de cette affaire. Mon cerveau n’arrivait plus à penser [lorsqu’ils l’ont interrogé, ndlr]. Les preuves fournies par ce tribunal ne permettent pas de prouver que je suis coupable. »
Forte présence policière
Pour le reste pas de surprise. A 8 h 18 précises, un convoi de cinq minibus dorés aux vitres fumées entre dans la cour du tribunal. Les rues alentour sont alors entièrement bouclées par des cordons de policiers en uniforme et en civil. A 8 h 43, l’audience commence devant « 5 membres de la famille Bo Xilai, 19 journalistes et 46 personnes venues de tous les secteurs de la société », selon le communiqué diffusé par la cour. La foule des mécontents et des curieux est cantonnée dans les rues adjacentes encerclées par les policiers.
Certains sont venus dès 6 h 30 ce matin, la plupart sont des pétitionnaires : les victimes de démolitions, les sans-retraite. Un homme grimpe sur un muret pour tenter d’apercevoir quelque chose : « J’ai travaillé pendant 20 ans et je ne reçois aucune pension ! », lance-t-il à la cantonade. Un autre se dit victime d’une injustice. Il est venu avec une poignée de tracts intitulés « le cauchemar chinois », manière de critiquer le « rêve chinois », slogan du nouveau président Xi Jinping.
Portrait de Mao devant le tribunal
Quand soudain, des cris montent à l’est du tribunal. Les journalistes quittent la zone qui leur est réservée, pour rejoindre un petit groupe de protestataires. L’un d’entre eux brandit un portrait de Mao devant les objectifs. « Je viens de Chongqing, dit-il [la mégalopole du sud-ouest du pays où Bo Xilai a été secrétaire général du Parti communiste avant sa chute, ndlr], Bo a fait un bon travail chez nous ».
« Les logements sont deux fois moins chers à Chongqing, poursuit un autre qui vient de la ville côtière de Tianjin à l’est de Pékin. Bo Xilai est un bon cadre. Il était toujours du côté du peuple et des plus humbles. » A l’écart des policiers, un homme d’une soixantaine d’années s’éloigne en entonnant L’Orient est rouge, la célèbre chanson à la gloire du Grand Timonier.