Il ne ressemble pas à Indiana Jones, mais son travail d’archéologue lui offre aussi son lot d’aventures. Pendant plusieurs années, Ha Il-sik, historien sud-coréen de l’université de Yonsei à Séoul, a été autorisé à franchir quotidiennement la frontière la plus militarisée de la planète pour aller travailler sur des fouilles archéologiques en Corée du Nord.
Pour se rendre à Kaesong, situé dans une zone militaire à dix kilomètres au nord de la frontière, ce professeur à la frêle carrure et aux manières timides utilisait... sa voiture personnelle. « Le trajet aller-retour entre ma maison et Kaesong fait exactement 142 kilomètres », explique-t-il, amusé. Ha Il-sik retrouve vite son sérieux : « Mes recherches sur ce site, c’est le travail de toute une vie. Je voulais vraiment y aller. »
L’une des plus grandes capitales de l’Asie médiévale
Cette coopération archéologique étonnante entre les deux Corées a débuté en 2005, époque où Séoul mettait en œuvre une politique de la main tendue à Pyongyang. Le Nord avait demandé l’aide du Sud pour inscrire auprès de l’Unesco sa ville de Kaesong, ancienne capitale du royaume de Koryo (918-1392) dont le nom est à l’origine du mot « Corée ».
Kaesong, qui compte aujourd’hui 190 000 habitants, était à son apogée l’une des plus grandes capitales de l’Asie médiévale. Sa position stratégique en faisait un important centre d’échanges culturels et commerciaux, notamment avec la Chine. La ville recèle ainsi de nombreux trésors archéologiques préservés par l’absence de développement.
La majorité des sites encore à étudier
« Dès que l’on creuse à Kaesong, on trouve quelque chose. La majorité des sites reste à étudier, pratiquement rien n’a encore été fouillé », s’enthousiasme Elisabeth Chabanol, archéologue et historienne de l’art de l’Ecole française d’Extrême-Orient, qui y mène aussi des recherches depuis une décennie. Au début des années 2000, la construction à Kaesong d’un complexe industriel intercoréen - fermé depuis avril dernier - a hélas en partie détruit un site archéologique très riche.
Ha Il-sik a participé à un chantier de fouilles sur un ancien palais royal dont ne subsistent que les fondations. Pendant quatre ans, deux fois par an, une équipe de dix archéologues sud-coréens y travaillaient aux côtés de 30 confrères du Nord. La Corée du Sud fournissait finances et équipements. « Les Nord-Coréens n’avaient aucun matériel », se souvient l’archéologue.
Les relations entre archéologues au beau fixe
Entre les historiens des deux camps, le terrain est miné. Au Nord, l’Histoire est soumise aux besoins de l’appareil de propagande. Le régime aime à s’ériger en héritier du royaume « nordiste » du Koryo, présenté comme le premier à avoir unifié la péninsule. La mise en avant et la protection des sites datant de l’ère du Koryo servent donc « à illustrer et à renforcer le discours officiel », explique Elisabeth Chabanol.
Les relations entre archéologues nord et sud-coréens se sont heureusement vite détendues. « Nous sommes devenus très proches. Nous travaillions ensemble, nous cuisinions ensemble, nous mangions ensemble. Un jour, l’un d’eux m’a annoncé avec fierté que sa fille avait été acceptée à l’université. J’ai réalisé à quel point nous nous ressemblions », raconte Ha Il-sik.
L'archéologie, un moyen pour rapprocher les deux Corées
Fervent partisan d’une politique de coopération avec le Nord, l’historien considère que l’archéologie est aussi un moyen de rapprocher les deux Corées ennemies : « Notre pays est divisé depuis 60 ans, mais nous partageons toujours la même histoire. »
Ces fouilles conjointes ont permis des découvertes capitales sur l’organisation d’un palais de la période du Koryo et sur les échanges avec la Chine. Hélas, les travaux sont interrompus à plusieurs reprises : en 2010 suite au torpillage d’un croiseur sud-coréen attribué au régime de Pyongyang, puis en 2011 lors de la mort du dirigeant nord-coréen Kim Jong-il. Ils sont définitivement suspendus en 2012, sur fond de dégradation continue des relations Nord-Sud.
Ironiquement, un an plus tard, le dossier préparé avec l’aide des Sud-Coréens - et de l’Ecole française d’Extrême-Orient - est accepté par l’Unesco : douze sites de Kaesong sont inscrits au Patrimoine de l’humanité. Une victoire pour Ha Il-sik, qui se dit tout de même inquiet : « Les historiens nord-coréens sont conscients de l’importance de leur patrimoine et ils sont compétents. Mais ils manquent d’équipements pour préserver convenablement le site. »
Ha Il-sik espère cependant retourner sur son chantier si les relations Nord-Sud s’améliorent, et retrouver ses collègues nord-coréens. Sa voiture est prête, et il connaît la route.