Bangladesh : les souvenirs de la guerre d'indépendance ressurgissent

Le Bangladesh, petit pays de cent cinquante millions d'habitants, le plus densément peuplé au monde, est confronté à de violentes manifestations depuis le mois de janvier. Les affrontements opposent les partisans du plus important parti islamiste du pays, Jamaat-e-Islami, aux forces de l'ordre. Les manifestants dénoncent la condamnation de plusieurs de leurs dirigeants.

par Clément Robin

Mercredi 17 juillet, un nouveau verdict est venu ajouter de l'huile sur le feu. Ali Ahsan Mohammad Mojaheed a été condamné à la pendaison. Agé de 65 ans, cet homme politique a été jugé responsable de l'enlèvement, de la torture et de l’assassinat d'un rédacteur en chef de journal, et de plusieurs responsables de mouvements indépendantistes.

Les faits remontent à 1971, pendant la guerre d'indépendance du Bangladesh. Le petit pays s'appelait alors le Pakistan Oriental et dépendait d'Islamabad. Une tranche majoritaire de la population réclamait l'indépendance et, après neuf mois d'affrontements sanglants, l'armée indienne est finalement intervenue, signifiant la défaite imminente du Pakistan.

Massacres d'intellectuels

Cet événement historique est resté en travers de la gorge des milices pro-Islamabad, qui ont alors décidé d'exécuter des dizaines d'enseignants, de réalisateurs, de médecins et de journalistes. Leurs corps ont été retrouvés après le conflit dans un marécage à l'extérieur de la capitale Dacca, les yeux bandés et les mains attachées derrière le dos.

A l'époque, Ali Ahsan Mohammad Mojaheed dirigeait la brigade al-Badr, chargée d'éliminer les intellectuels favorables à l'indépendance. Au cours de ces massacres, trois millions de personnes ont perdu la vie, selon les chiffres du gouvernement, entre trois cent mille et cinq cent mille, selon des instances indépendantes.

Aujourd'hui, Ali Ahsan Mohammad Mojaheed est un homme politique très influent. C'est l'actuel secrétaire général du Jamaat-e-Islami, le plus grand parti islamiste au Bangladesh, après avoir été ministre entre 2001 et 2006. Sa condamnation à mort risque donc d'avoir davantage de difficulté à être acceptée par la population.

Six opposants condamnés

C'est la deuxième fois en une semaine que la justice bangladaise vise un haut responsable de ce parti. Lundi, c'est Ghulam Azam, chef du parti Jamaat-e-Islami en 1971, qui a été condamné. Le tribunal l'accuse d'avoir soutenu la création de milices pro-Islamabad à l'origine des massacres.

L'homme a 90 ans et c'est en fauteuil roulant qu'il s'est présenté devant les juges lundi 15 juillet. Son état de santé lui a d'ailleurs permis d'échapper à la peine capitale. L'ex-dirigeant du parti islamiste, qui devra purger une peine de 90 ans, est condamné à passer la fin de sa vie derrière les barreaux. Son avocat a annoncé qu'il ferait appel, remettant au passage en cause l'impartialité du Tribunal international des crimes (ICT).

Ce tribunal est, depuis sa création en 2010, très controversé. C'était une promesse de campagne de l’Awami League, le parti laïc à l’origine du mouvement qui a conduit à la guerre d’indépendance au Bangladesh. Pour le gouvernement, c'était le meilleur moyen de cicatriser les plaies encore vives de la guerre d'indépendance.

L'ICT mis en cause

Ce tribunal porte mal son nom puisqu'il n'y a aucune supervision internationale. Les juges et le droit appliqué sont bangladais et aucun expert étranger n’a été associé à sa création. Plusieurs ONG, dont Human Rights Watch (HRW), se sont insurgées contre son fonctionnement. Pour le porte-parole d'Amnesty International en France, Francis Perrin, « il est tout à fait regrettable que le gouvernement du Bangladesh ait choisi une voie purement nationale ». Pour lui, « il ne suffit pas de créer un tribunal, il faut en terme de composition et en terme de peine que ce tribunal soit habilité à prononcer, que nous soyons sur le niveau le plus élevé d'exigence, justement parce qu'on est en train de juger les crimes les plus graves, avec les peines les plus graves. »

L'opposition va plus loin et accuse l'ICT de vouloir évincer ses dirigeants. Parmi les huit hommes politiques toujours en attente de jugement, six sont islamistes et deux appartiennent au principal parti d'opposition, le Bangladesh Nationalist Party (BNP).

Depuis le 21 janvier, date du premier verdict du tribunal, six hommes politiques ont été condamnés, dont quatre à la peine capitale, et les arrestations risquent de s'accélérer. Mille deux cents personnes sont visées par une enquête, notamment des généraux pakistanais et islamistes alliés à Islamabad pendant la guerre d'indépendance.

La rue s'embrase

Depuis les premières manifestations au mois de janvier, les violences ont fait cent cinquante victimes. Le couvre-feu a été décrété lundi 15 juillet et, entre-temps, neuf personnes ont trouvé la mort, dont un enfant. Alors que de nombreux bureaux et magasins sont toujours fermés, l'opposition a d'ores et déjà appelé à une nouvelle grève générale jeudi 18 juillet. Le manque à gagner pour l'économie du Bangladesh pourrait avoisiner les 800 millions d'euros.

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