Visite du président Thein Sein en Europe: la Birmanie est-elle devenue fréquentable?

Thein Sein est attendu à Paris en ce début de semaine, dans la foulée de son passage en Grande-Bretagne, ce lundi 15 juillet. Ce sera la première visite en France du président birman. Aung San Suu Kyi l'avait déjà précédé l'an dernier - l'opposante venait d'être élue députée, lors d'élections partielles largement remportées par son parti la LND. Des élections qui avaient amené les pays occidentaux à lever peu à peu quasiment toutes leurs sanctions, estimant que la Birmanie était sur la voie des réformes. Depuis Thein Sein multiplie les visites à l'étranger.Barack Obama lui-même est allé en Birmanie. Mais si la Birmanie est fréquentée, est-elle pour autant fréquentable aujourd’hui, après des décennies de dictature et d'isolement ?

Il faut d’abord remonter à l’année 2011, et analyser cette décision de Thein Sein de passer d’un régime militaire, né du coup d’Etat de 1962, à un gouvernement civil - même si les militaires sont toujours bien présents. Pour Jean-Louis Margolin, maître de conférence en histoire contemporaine à l'université d'Aix-Marseille, ce changement brusque doit être certainement dû à un constat d’échec du président birman, surtout sur le plan économique : « La Birmanie, qui était pendant fort longtemps et en particulier à l’époque coloniale le premier exportateur de riz au monde, s’était retrouvée dans la situation économique, si je puis dire, d’un pays d’Afrique subsaharienne au milieu d’une Asie qui connaissait des phénomènes de développement rapide. »

Des réformes inattendues

D’où cette décision de Thein Sein de mettre en place, à la surprise générale, tout un train de réformes pour que les sanctions internationales, qui participaient aux difficultés économiques du pays, soient levées : libération d’une bonne partie des prisonniers politiques, libéralisation des médias, autorisation des syndicats, possibilité de manifester… Et un retour à un certain pluralisme politique, même si explique Jean-Louis Margolin, « il n’y a pas eu encore la possibilité pour le principal parti d’opposition, la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi, de se présenter à des élections générales, ou encore moins pour l’instant à des élections présidentielles » ; et pour le moment, la Constitution ne permet pas à la « Dame de Rangoon » de se présenter à la présidentielle de 2015.

A noter aussi une certaine réouverture au monde, avec ces voyages des dirigeants birmans à l’étranger ou de dirigeants étrangers en Birmanie ; réouverture économique également, « avec en toile de fond un petit peu le modèle chinois d’ouverture économique contrôlée permettant au pays de sortir de la misère ».

Les violences subsistent

Voilà pour ce qui est des bons côtés. Mais pour les ONG de défense des droits de l'homme, si des choses ont changé, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Info Birmanie parle ainsi d’une aggravation générale de la situation des droits de l’homme, avec, malgré la mise en place de cessez-le-feu avec les groupes ethniques armés, la reprise des combats dans les Etats Shan et Kashin, et les violences dans le centre et l’ouest de la Birmanie entre bouddhistes et musulmans qui ont fait plus de 200 morts et 140 000 déplacés l’an dernier. Aucune mesure pour faire cesser les incitations à la haine et la violence n’ont été mises en place par l’Etat birman, affirme Info Birmanie, qui souligne également que, contrairement à l’accord passé avec l’ONU, l’armée birmane emploie et recrute toujours des enfants soldats - même si certains ont été rendus à la vie civile.

Célestine Fouchet, d’Info Birmanie, reconnaît donc un mieux… relatif : « Evidemment il y a eu des libertés civiles qui ont été consenties, mais si on prend l’exemple de cette nouvelle loi qui permet de manifester, c’est en vertu de cette nouvelle loi que des activistes ont été arrêtés il y a quelques jours, et ils ont pris onze ans de prison. » D’où cette demande des ONG : « On engage la France à trouver un équilibre prudent entre encouragement et pression. C’est un peu un jeu hypocrite de la communauté internationale : "Vous avez lâché quelques libertés civiles, Aung San Suu Kyi a été libérée… En gros ils ont fait assez pour qu’on puisse investir"».

Un équilibre entre encouragement et pression

Les ONG sont unanimes : les sanctions internationales ont été levées trop vite. Mais pour Jean-Louis Margolin, « il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Malgré les violences ethniques et religieuses, les pays occidentaux ne doivent pas donner l’impression de vouloir s’ingérer trop étroitement dans les affaires intérieures de la Birmanie « sans respecter ces compromis, certes boiteux, sur lesquels est fondée cette évolution, compromis qui ont prouvé qu’ils arrivaient quand même à produire des résultats positifs ». Être trop critique risquerait de « renforcer les courants les plus conservateurs et les plus xénophobes, qui n’attendent qu’une occasion de dénoncer la soumission de leur gouvernement aux pays d’Occident ».

En tout cas, on verra bientôt si les militaires permettent à Aung San Suu Kyi, qui cristallise l'intérêt des Occidentaux, de modifier la loi pour participer à la présidentielle de 2015. Si ce n'est pas le cas, Europe et Etats-Unis seront peut-être plus enclins à faire pression sur le gouvernement birman que lors des violences ethniques qui avaient visé la minorité musulmane des Rohingyas.

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