Spécialiste de l’Afghanistan, ancien conseiller du secrétaire général de la Défense nationale française, le général Vincent Desportes a notamment écrit Le piège américain. Pourquoi les Etats-Unis peuvent perdre les guerres d’aujourd’hui (Economica, 2011). Il décrypte pour RFI les enjeux de ce passage de témoin.
RFI : Les forces de l’Otan achèveront leur retrait complet du territoire fin 2014. Combien sont-elles aujourd’hui et quelle sera leur marge de manœuvre d’ici là ?
Vincent Desportes : Elles ne comptent plus que 50 000 à 60 000 hommes, stationnés uniquement dans Kaboul ainsi qu’au nord et au sud de la ville. La sécurité, on le sait, est toujours très loin d’être garantie dans le pays. Ces hommes ne peuvent absolument pas intervenir sur l’ensemble du territoire, mais ils peuvent mener des opérations « coup de poing » en appui des forces afghanes. C’est l’idée générale : pouvoir appuyer, encore un temps, les opérations des forces afghanes sans être en première ligne. Le deuxième type d’action qui continuera d'être mené, en particulier par les Américains, est la traque des terroristes qui restent sur le terrain. L’Isaf garde également sa mission de formation et de renseignement humain et technique, notamment avec la surveillance du territoire par les drones qui sont toujours déployés dans l’espace aérien afghan.
Les forces afghanes sont-elles en mesure d’assurer seules la sécurité dans le pays ?
Cela sera difficile, car si une partie de ces troupes est opérationnelle, la majorité ne l’est pas. Rappelons toutefois que les talibans sont entre 20 000 et 30 000 dans le pays. Les forces afghanes s’élèvent, elles, à au moins 400 000 hommes en totalité. Ce ratio doit permettre d’assurer la sécurité pendant un certain temps. Mais la question essentielle qui se pose est le financement de cette force afghane. Si l’on veut que le régime mis en place par les Occidentaux se maintienne en place un certain temps, il faudra continuer à lui fournir une aide financière significative, pour payer les soldats et acquérir le matériel militaire dont il a besoin. Le grand défi pour le pouvoir central sera de maintenir son autorité sur l’ensemble du pays. Kaboul va devoir faire face aux potentats locaux, soucieux de reprendre le pouvoir qui leur a été confisqué. Il y a là un risque d’éclatement de l’armée afghane, dont certains éléments pourraient repartir aux ordres des seigneurs de guerre.
Y a-t-il un risque de retour des talibans ?
C’est plus qu’un risque, c’est quasiment une certitude. Hamid Karzaï a d’ailleurs annoncé aujourd’hui qu’il envoyait une délégation pour négocier avec les talibans installés au Qatar. Il est évident qu’il faudra établir de nouveaux rapports de pouvoir entre le gouvernement et les talibans. Il n’y a là rien de surprenant, c’est toujours avec ses adversaires que l’on fait la paix. La solution qui consistait à détruire les talibans est évidemment impossible. Il va donc falloir établir avec eux un compromis acceptable à la fois pour l’Etat afghan et la communauté internationale.