Plutôt que l’arrêt brutal, Pyongyang a choisi l’étouffement progressif. Le visage fermé des cadres de Kaesong qui passent le poste frontière de Paju pour gagner la Corée du Sud en témoigne. Les fenêtres des véhicules restent pour la plupart fermées. On se méfie désormais des micros et caméras qui depuis mercredi 3 avril font le pied de grue pour tenter de recueillir les témoignages des employés de ce complexe industriel situé en Corée du Nord, juste derrière les barbelés et les mines du 38e parallèle.
Cartons d’échantillons
Créée en 2004 en pleine période de rapprochement entre les deux Corées, la zone économique spéciale est à ce jour le dernier lien entre les deux voisins depuis le gel de leurs relations en 2010. Seulement voilà, depuis mercredi Pyongyang n’accepte plus les ingénieurs sud-coréens dans la zone.
Tels des palets de hockey lancés au compte-gouttes sur la chaussée luisante, plus de quarante voitures se sont échappées du brouillard de Paju ce samedi, glissant toutes fenêtres fermées devant une poignée de journalistes encapuchonnés. Car les échos de la zone industrielle dans les médias sud-coréens ont visiblement été rapportés aux oreilles de Pyongyang. « Les affaires continuent à Kaesong, malgré les menaces ! ». Autrement dit, la Corée du Nord qui a besoin des devises générées par les 123 usines sud-coréennes implantées à Kaesong, ne mettra pas ses menaces à exécution.
Cette thèse du bluff a visiblement piqué au vif le régime communiste. « Nous espérons pouvoir retourner en Corée du Nord la semaine prochaine, confie un intermédiaire sud-coréen les lunettes embuées de pluie. C’est à cause des interviews que Pyongyang a décidé de limiter l’accès au site et aujourd’hui, nous manquons de matières premières pour faire tourner les chaînes de montage. »
Cela coince aussi d’ailleurs dans l’autre sens, si les cadres sud-coréens peuvent sortir, certains produits manufacturés sont bloqués en douane. C’est un problème en particulier pour les usines de pièces détachées si les pièces ne sont pas livrées aux entreprises de produits finis, il pourrait y avoir des répercussions sur certains secteurs en Corée du Sud. « J’attends trois cartons d’échantillons d’une entreprise de confection de vêtements, explique ainsi un autre chauffeur garé 200 mètres plus loin pour tenter d’échapper à l’essaim de journalistes, mais aujourd’hui il n’y a plus grand-chose qui passe ».
« 3 usines à l’arrêt »
Samedi 6 avril, à 9h, il restait 608 employés sud-coréens sur le site. Le soir, ce chiffre était tombé à un peu plus de 500. Un demi-millier de Sud-Coréens restent sur place pour diriger les 53 000 ouvriers nord-coréens de l’enclave, dont une majorité d’ouvrières.
Un donnant donnant dans lequel Nord et Sud s’y retrouvaient jusqu’à présent. Kaesong, c’était des devises pour l’économie nord-coréenne exsangue et des ouvriers moins chers (moins de 130 euros par mois) pour l’industrie sud-coréenne.
Mais depuis les sanctions décrétées à l’ONU après le troisième essai nucléaire nord-coréen, Pyongyang ne décolère pas. Si le régime nord-coréen a menacé de lancer une attaque nucléaire contre les États-Unis le mois dernier, il a aussi décrété « l’état de guerre » avec la Corée du Sud la semaine dernière. La zone économique de Kaesong était accessible autrefois par autoroute et par train depuis la Corée du Sud. Aujourd’hui, seuls les camions peuvent ravitailler le complexe.
« Nos 123 entreprises éprouvent déjà des difficultés à maintenir leur production, et plus le temps passe plus la situation ne fera que s'aggraver, a déclaré un responsable de l'Association des entreprises de la zone au journal sud-coréen Hankyoreh. Nous avons fait part de notre préoccupation à nos homologues nord-coréen : si l'interdiction d'accès au complexe n'est pas levée au début de la semaine prochaine, Kaesong ne sera plus en mesure de fonctionner. »
Le ministère sud-coréen de l’Unification a déclaré samedi que l’une des compagnies établies dans le complexe avait interrompu ses activités. Il s’agit de la quatrième à le faire depuis que la Corée du Nord a fermé sa frontière mercredi. « Nous ne sommes pas plus surveillés que d’habitude, tout est normal là-bas », confie Han Jae-hyun. Mais ce cadre d’une usine d’emballage pour électroménager à Kaesong s’inquiète aussi pour la suite : « Aujourd’hui ça peut encore aller, demain on ne sait pas. Et la semaine prochaine, ce sera très dur ».