Nouveau président et nouveau style. Comme l’avait fait Xi Jinping lors de sa nomination au poste de secrétaire général du Parti communiste chinois, la vice-ministre des Affaires étrangères a commencé par s’excuser pour son retard ce matin de lundi à la conférence de lancement de l’Assemblée nationale populaire (APN) qui ouvre ses portes mardi.
Sourire et nouveau style donc : « Le chemin pour accéder au Palais du peuple est un peu compliqué, a affirmé Fu Yin, avant d’ajouter un mot sur le beau ciel du jour et la pollution qui régulièrement envahit la capitale chinoise. Tous les matins, j’ouvre ma fenêtre pour voir s’il y a du brouillard (…) J’ai acheté un masque pour moi et pour ma fille que je n’ai pas encore utilisé. »
Proche du peuple
Ce côté « proche du peuple » est l’un des marqueurs de la communication du nouveau président chinois. Xi Jinping en roi du marketing qui, pour son premier voyage officiel, s’en va sur les traces de Deng Xiaoping dans la province du Guangdong en face de Hongkong, d’où est partie la politique de réforme et d’ouverture du pays il y a plus de trente ans. C’est aussi un futur président que l’on a vu filmé par les caméras de CCTV au côté du petit peuple dans la province du Gansu (Ouest), longtemps considérée comme l’une des plus pauvres de Chine.
Ce crédo de l’homme nouveau, davantage à l’écoute de la population, est martelé depuis plusieurs semaines par les médias officiels. Il est aujourd’hui partagé à tous les échelons de la société. « Il parle comme nous », confiait récemment à l’agence Associated Press l’un des paysans visités dans le Gansu. « On a beaucoup d’attentes vis-à-vis de ce nouveau gouvernement, nous disait encore ce lundi matin Cai Shenkun. On attend des réformes politiques, poursuit cet écrivain et observateur de la chose publique, on espère aussi une plus grande attention portée aux questions concernant l’égalité sociale et la justice. »
A en croire les intellectuels, dans une Chine qui compte plus d’un demi milliard d’internautes à fleur de peau, Xi Jinping ne peut plus s’appuyer uniquement sur la Sainte Trinité du régime communiste, à savoir l’armée (comme l’a fait Den Xiaoping), les services secrets (comme du temps de Jiang Zemin) et la police (sous Hu Jintao).« Xi Jinping ne peut plus utiliser la police et l’armée comme ses prédécesseurs, il a besoin d’un nouvel élément et cet élément c’est la légitimité », affirme ainsi Yang Henjun.
Et Yang Henjun de continuer : « A mon avis, la meilleure chose à faire est donc d’obtenir un consensus autour des réformes et pour cela, il doit s’appuyer sur les intellectuels, la classe moyenne et le peuple, poursuit le célèbre bloggeur dissident. Qu’est-ce qu’il a fait quand il est apparu ? Il n’a cessé de parler du peuple parce qu’il pense tirer son pouvoir du peuple. Voilà pourquoi on dit que Xi Jinping est très intelligent. En même temps, c’est un président très faible, car nous ne sommes pas en démocratie. Il fait tout ce qu’il peut pour avoir les gens avec lui. Mais c’est loin d’être gagné. »
Et encore loin des réformes…
Les voitures renversées et les manifestations dans le village de Shangpu à l’est de la Chine la semaine dernière, prouvent que les réformes sont loin d’être engagées. Xi Jinping promet une justice qui protège le faible du fort. Il menace de frapper à la fois les tigres et les mouches. Autrement dit, les petits cadres du Parti comme les hauts responsables corrompus, même si pour l' instant, ce sont surtout les mouches qui ont été chassées.
Sur la table des réformes encore : la fin des camps de travail, une refonte de la politique de l’enfant unique, la réduction des inégalités. Pour la première fois, l’agence Chine nouvelle a publié l’indice Gini des inégalités, qui atteint 0,5 aujourd’hui, soit l’un des plus élevés du monde. D’où l’appel à davantage de frugalité lancé par le secrétaire général du Parti. Moins de fastes et de décorum : les couronnes de fleurs ont été réduites dans les allées du Palais. Des discours moins longs et moins « langue de bois », ce qui a permis de réduire la durée de la session parlementaire à 12 jours et demi, expliquait ce lundi la vice-ministre des Affaires étrangères.
Moins de banquets aussi et de frais de bouches pour les officiels. Les délégués de la mégalopole de Chongqing (Sud-Est) racontent qu’ils avaient pour habitude de se partager un gâteau dans l’avion qui les amène à Pékin pour assister à l’APN. Le dessert était censé porter chance à la réunion du Parlement. Il n’y pas eu de gâteau cette fois-ci.
Les 2 987 délégués de l’Assemblée nationale populaire réunis à Pékin seraient aujourd’hui plus représentatifs de l’opinion. L’Assemblée compte en effet 6,93% d’officiels en moins que l’année dernière, assure Le Quotidien du peuple. Quand au Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois, qui a démarré dimanche, plus de 60% de ses 2 237 représentants ne sont pas membres du PCC.
Le Parlement est-il plus représentatif pour autant ? Certains s’interrogent notamment sur les disparités géographiques. Le Tibet compte ainsi 20 délégués à l’Assemblée contre 175 pour la province du Shandong à l’est du pays. D’autres contestent le poids des groupes d’intérêts, qui freinent les réformes. « Se contenter de baisser un peu le nombre des officiels n’est pas suffisant », estime ainsi Wang Guiying. Pour ce professeur à l’Ecole centrale du Parti à Pékin, « l’Assemblée nationale populaire reste une assemblée d’officiels aux yeux du peuple. Les groupes d’intérêts ont trop de pouvoir et l’inertie du système est grande. Ce n’est pas une ou deux personnes qui peuvent changer les autres, il faut d’abord réformer le système. »
Cinquième génération de dirigeants
Fruit d’un long processus de plus de dix ans, la cinquième génération de dirigeants chinois qui va sortir du chapeau le 16 mars prochain est en réalité connue de tous et depuis longtemps. Pour la première fois, Xi Jinping est le premier à accéder au poste de président alors que ses deux prédécesseurs sont encore en vie. Six des sept membres de l’actuel politburo ont des liens avec l’ancien président Jiang Zemin. Mais certains observateurs annoncent déjà que le prochain bureau politique en 2017 sera composé à majorité de « tuanpai » et donc de responsables issus de la Ligue de la jeunesse communiste dont est issue Hu Jintao. Autrement dit, Xi Jinping devra là aussi cultiver le consensus. Même si pour l’instant, la presse officielle consacre sa Une essentiellement au nouveau président.
La figure du futur Premier ministre chinois Li Keqiang ne devrait émerger qu’à la fin de l’Assemblée et en tous cas, après le discours d’inauguration qui sera prononcé mardi par l’actuel Premier ministre Wen Jiabao. « Cette génération est de toute façon beaucoup mieux que celle de Hu Jintao, veut croire Chen Ping. Je connais ces personnes depuis les années 1980. Nous avons tous en commun le sens des responsabilités face à l’histoire, affirme le patron d’Isun TV qui a pour habitude de montrer le numéro de portable du « camarade Xi » sur son propre téléphone aux visiteurs de passage.
« Parce que nous nous souvenons tous des années noires de la Révolution culturelle et de Mao Zedong, nous avons poussé vers les réformes à la fin des années 1970. On s’en est séparé depuis 20 ans. Mais si l’on me demande un conseil, le premier serait d’appliquer avec dévotion la Constitution », poursuit Chen Ping, évoquant la liberté de la presse et les droits du peuple à se rassembler dans des partis. Autant demander la constitution de contre-pouvoirs, ce que n’a pour l’instant jamais accepté la Chine du Parti unique.
En attendant les nouveaux dirigeants, les téléspectateurs patientent avec les images de la conférence consultative et politique. Le nouveau président proche du peuple a pris soin d’y nommer un grand nombre de célébrités. Le prix Nobel de littérature Mo Yan, l’acteur de Kung-fu Jacky Chan, ou encore le basketteur Yao Ming. Tiens ! celui-ci a eu droit à une exception. Ce dernier est tellement grand qu’il a fallu lui fabriquer une chaise spéciale pour assister aux sessions, raconte le journal du soir du Shaanxi.