Avec notre correspondant à Pékin, Stéphane Lagarde
Les internautes n’y vont pas avec le dos du clavier. Les images de voitures de marques japonaises retournées et parfois brûlées en pleine rue, de ces restaurants de sushis saccagés ou, plus grave encore, de ces ressortissants nippons tabassés par la foule en colère, suscitent le réveil des réseaux sociaux, ce lundi 17 septembre, encouragés par les médias officiels qui ont multiplié les appels au calme ces derniers jours.
Ce qui se traduit par un déchaînement de mots fleuris à l’écran : « Arrêtons les connards de casseurs », écrit ainsi un internaute. « Boycottons les cons et protégeons les droits de l’homme », reprend encore un activiste plein d’humour sur une pancarte tendue à bout de bras, parodie du « Boycottons le Japon et protégeons notre souveraineté » scandé jusqu’à plus soif par des cortèges énervés souhaitant en découdre avec les « Nains de Japonais ».
Manifestations dans 52 villes
Selon Phoenix TV (Hongkong), des manifestations ont éclaté dans 52 villes ce week-end. À Chongqing et à Changsa dans le sud, on a même compté jusqu’à 20 000 manifestants dans les rues. L'agence japonaise Kyodo News Agency, citée par le Global Times, estime que les marches anti-japonaises ont rassemblé jusqu'à 80 000 personnes dans 85 villes. Ce sont les plus gros mouvements anti-japonais recensés en Chine, depuis le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays il y a quarante ans.
Avec de nombreux débordements : à Canton, les manifestants ont fait irruption samedi dans les étages d’un complexe abritant le consulat du Japon. Les vitres d’un hôtel ont été brisées. À Qingdao, sur la côte est, des usines et des concessionnaires japonais ont subi des dégâts. À Changsa, le grand magasin japonais Pinghetangtang a été pillé. « C’est ridicule, commente une vendeuse sur le réseau social weibo. On a une assurance et donc ce ne sont pas les Japonais qui vont y perdre, mais des Chinois qui vont indemniser des Chinois ».
« Jeunes casseurs j'ai honte pour vous ! Est-ce que vous aimez vraiment votre pays ? », s’interroge un internaute répondant au pseudo « Mingriqing » et qui écrit depuis Xi’an dans l’ouest du pays.
Fermeture temporaire des usines Canon
Peur de perdre le contrôle ou volonté de calmer le mouvement, les manifestations sont désormais interdites dans la capitale de la province du Shaanxi tandis qu’à Canton la police encourage la population à prendre des photos des casseurs.
Quant au « comité de défense des îles Diaoyu », basé à Xiamen sur la côte est, il nous affirmé ce lundi avoir « les plus grandes difficultés à trouver un bateau », autrement dit une expédition dans les eaux troubles de la mer de Chine orientale est pour l’instant déconseillée par les autorités locales.
Enfin, toujours dans un « esprit d’apaisement », le Quotidien du Peuple indique que les publicités pour les produits japonais, supprimées des écrans de CCTV1 et CCTV4 depuis le 15 septembre dernier, le resteront jusqu’à mardi.
Ce 18 septembre s’annonce en effet comme une journée de mobilisation importante. Les « défenseurs des îles Diaoyu » prenant le prétexte de l’anniversaire de l’incident de Munkden qui déclencha l’invasion japonaise en 1931, pour appeler à de grands rassemblements.
Les Japonais résidant en Chine devraient ainsi rester chez eux au moins jusqu’à mercredi, une crainte qui se lit aussi sur les devantures des magasins, avec des enseignes en japonais bâchées ou recouvertes par des inscriptions en mandarin. Même chose pour les usines Canon de Zhuhai, Zhongshan, Suzhou et Panasonic à Zhuhai qui resteront fermées jusqu’à mercredi.
Des portraits de Mao dans les cortèges
Les Américains sont inquiets et l’ont fait savoir par la voix du secrétaire à la Défense, Leon Panetta. Les autorités chinoises le sont également, car si un tel sursaut nationaliste est par essence fédérateur dans une période de succession compliquée pour le régime, les appels à manifester se font désormais via internet et sont beaucoup plus difficilement maîtrisables.
L’irruption de portraits de Mao dans les cortèges ce week-end a ainsi été perçue comme une critique détournée du gouvernement, accusé par les militants pro-chinois de manquer de fermeté vis-à-vis du Japon.
Et si ce ne sont pas les portraits ou les slogans qui parlent, ce sont les tee-shirts : « Je suis prêt à nourrir les fonctionnaires corrompus et devenir un esclave pour pouvoir me loger, mais jamais je n’abandonnerai les îles Diaoyu », proclamait samedi le torse d’un manifestant.