Chine : des projets pilotes pour inciter les prisonniers à dénoncer les tortures en prison

Le projet n’est encore qu’expérimental, mais à partir d’octobre prochain, quatre maisons d’arrêts dans trois provinces chinoises vont mettre en place un système permettant aux détenus de dénoncer les brimades et les tortures dont ils font l’objet. L’idée étant de libérer la parole des victimes.

Avec notre correspondant à Pékin, Stéphane Lagarde

Des boites aux lettres dans les toilettes, des stylos et du papier à disposition dans les salles communes, et des avocats qui expliquent aux prisonniers quels sont leurs droits. L’objectif est de permettre aux détenus de dénoncer en toute discrétion les violences dont ils sont victimes. Ce système a été mis en place à Wuhu dans la province de l’Anhui (Centre) en mars dernier, il sera étendu à deux autres provinces le mois prochain, Ningbo dans le Zhejiang (Est) et Wuzhong dans le Ningxia (Nord).

Briser la loi du silence

« La réalité c’est que personne aujourd’hui n’ose porter plainte en prison », explique Cheng Le, professeur au Centre des réformes juridiques de l’université du Peuple cité par le Beijing Times. La prison reste une zone de non droit minée par la loi du silence.

L’expérience mise en place à la maison d’arrêt depuis plus de cinq mois a permis de collecter 73 lettres de dénonciation postées dans les toilettes. Pour les deux tiers, il s’agit de réclamations sur la qualité de vie et les plats servis à la cantine. Le reste porte souvent sur le non respect des délais de garde à vue.

Les exemples de morts suspectes ne manquent pourtant pas. Certaines parfois défraient la chronique, comme en février 2009 lorsque le détenu Li Qiaoyun est décédé officiellement en se « cognant contre un mur lors d’une partie de cache-cache » dans sa prison du Yunnan. L’enquête prouvera qu’il a été passé à tabac par ses gardiens.

En janvier 2011, Xie Zhigang meurt également en détention. Officiellement ce fonctionnaire de police accusé de corruption avait « perdu l’appétit ». Son épouse va retrouver son corps couvert de bleus et de balafres.

Même chose pour le leader des manifestations du Wukan dont on a beaucoup parlé dans l’est du pays l’année dernière. Xue Jinbo a été victime d’une crise cardiaque à l’hôpital affirment dans un premier temps les autorités locales. Sa famille, aidée par le village, ne cessera de clamer qu’il est mort sous les coups des matons en détention et finira par obtenir un dédommagement.

Pression de l’opinion publique

« Après la mise en place de ce système, toutes les personnes en détention sauront que leurs droits doivent être respectés même si elles ont violé la loi », explique Xia Wei. L’avocate fait partie d’un comité de 11 personnes extérieures à la prison de Wuhu, comité chargé d’étudier les plaintes des prisonniers. « Notre expérience, dit-elle, s’inscrit dans un projet de réforme plus vaste de la loi pénale en Chine. »

Sous la pression de l’opinion publique, les autorités sont contraintes de reculer à petits pas et de faire avancer l’Etat de droit. C’est tout le système de l’aveu forcé mis en place sous la révolution culturelle et Mao Zedong dont les Chinois veulent aujourd’hui se débarrasser. Un système qui est loin d’avoir disparu selon les organisations de défense des droits de l’homme, et notamment Amnesty International qui a recensé de nombreux cas. Des faits reconnus par les autorités elles-mêmes d’ailleurs.

En 2009, la sécurité publique faisait savoir que 1 800 officiers de police avaient été suspendus de leur fonction pour avoir fait subir des tortures aux détenus. Dans un sondage publié récemment par l’agence Chine Nouvelle, 87% des personnes interrogées se disaient favorables à la suppression des Laogai, les camps de travail chinois. Là aussi, des projets pilotes sont à l’étude dans quatre provinces. Reste à savoir maintenant si ces réformes dépasseront le simple affichage, à la veille d’un Congrès où seront renouvelées les instances dirigeantes à la tête du pays.

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