RFI : Dans votre article sur les relations indo-pakistanaises, paru dans la revue Hérodote en 2010, vous parliez d’un « trust deficit » ou du manque de confiance. La brève visite d’Asif Ali Zardari en Inde le 8 avril est-elle le signe que la confiance est de retour?
Gilles Boquérat : Cette visite s’inscrit effectivement dans un processus de réchauffement des relations entre les deux pays depuis deux ans. Ce qu’on a appelé un peu pompeusement le « dialogue composite » entre les deux frères ennemis avait été interrompu suite aux attentats de Bombay en 2008, l’Inde accusant le Pakistan d’avoir orchestré les attaques. Les pourparlers ont repris depuis 2010, avec des rencontres discrètes au niveau des ministres des Affaires étrangères et à celui des dignitaires chargés du commerce.
RFI : Il semblerait que c’est la décision toute récente du Pakistan d’accorder à l’Inde la clause du partenaire commercial privilégié (clause NPF ou la nation la plus favorisée) qui a permis de détendre l’atmosphère entre les deux frères ennemis.
G.B. : La décision a en effet été perçue par les Indiens comme un gage de bonne volonté, d’autant que les Indiens ont, pour leur part, accordé au Pakistan la clause NPF dès 1996. Ils réclamaient la réciprocité. Il est vrai qu’il y a un énorme potentiel en matière de commerce entre les deux pays.
Sous le régime en vigueur jusqu’ici, les échanges étaient régis par une liste limitée de 1 934 produits pouvant être importés de l’Inde. Par conséquent, le total de leur commerce bilatéral s’élevait à seulement quelque 2 milliards de dollars, alors que, à titre de comparaison, le chiffre d’affaires du commerce indo-chinois est supérieur à 50 milliards de dollars. Même avec le Sri Lanka, l’Inde commerce davantage.
Le nouveau régime qui entrera en vigueur à la fin de l’année permettra d’intensifier les liens commerciaux entre l’Inde et le Pakistan.
RFI : Pour autant, est-ce que cela signifie que désormais les relations entre les deux pays seront régies plutôt par une logique géoéconomique que par une logique géopolitique?
G.B. : Jusqu’à un certain point seulement, car les contentieux fondamentaux n’ont toujours pas été réglés. Par exemple, le problème cachemiri reste entier. Le Cachemire demeure un objet de débat au sein de l’establishment pakistanais où des voix se sont élevées encore récemment contre toute normalisation des relations avec l’Inde tant qu’il n’y aura pas d’avancée sur la question du séparatisme cachemiri.
Le deuxième contentieux concerne la menace terroriste qui pèse comme une épée de Damoclès sur les relations entre Delhi et Islamabad. Ce dernier peut difficilement garantir qu’il n’y aura plus d’attaques en territoire indien menées par des groupes militants jihadistes pakistanais. Difficile d’imaginer ce qui pourra se passer s’il y a demain un nouvel attentat terroriste type Mumbai en Inde!
RFI : L’insurrection cachemirie peut-elle repartir ?
G.B. : L’Inde et le Pakistan se sont livrés deux guerres depuis l’indépendance pour déterminer la question du rattachement de cette province convoitée à l’un des deux pays. Le différend qui les oppose au sujet du Cachemire était aussi à l’origine du conflit plus limité de Kargil en 1999. L’insurrection cachemirie pour l’autonomie qui a éclaté il y a maintenant 20 ans s’est quelque peu enlisée, face à l’intransigeance indienne.
Les Cachemiris savent aussi que dans un contexte géopolitique profondément bouleversé par la fin de la guerre froide et le terrorisme islamiste, ils ne pourront pas obtenir la condamnation de la répression indienne par la communauté internationale. Même au Pakistan, l’opinion publique n’est plus majoritairement favorable à l’idée d’un rattachement du Cachemire à leur pays. On se dirige vers un règlement reposant sur la notion qu’il n’y aurait pas de cession de territoires. Est-ce que la solution sera acceptable pour les Cachemiris ? Rien n’est moins sûr!
RFI : On connaît le rôle majeur que l’armée joue au Pakistan. Or celle-ci voit en Inde une menace à l’existence même du Pakistan. Comment les militaires perçoivent-ils le rapprochement en cours avec New Delhi ?
G.B. : Ce rapprochement n’aurait pas été possible sans la bénédiction de l’armée pakistanaise. Cela ne veut pas dire que l’armée a changé son paradigme stratégique d’éviter d’être prise en tenaille entre l’Inde d’un côté et l’Afghanistan de l’autre. Les militaires s’inquiètent de l’accord militaire que l’Afghanistan a signé avec l’Inde et de ses conséquences sur le rapport de forces sur le terrain après le départ des Occidentaux. Dans ce contexte, la marge de manœuvre de Zardari est limitée.
Rappelez-vous avec quelle rapidité le gouvernement pakistanais fut désavoué par les militaires lorsqu’au lendemain des attentats de 2008 le Premier ministre voulait envoyer le chef des renseignements à New Delhi pour échanger des informations. D’ailleurs, comment ne pas s’interroger sur le timing même de ces attentats? Ils ont eu lieu tout de suite après l’arrivée au pouvoir de Zardari qui, lui, a toujours affiché sa volonté d’un rapprochement avec l’Inde. Je ne veux pas avancer d’hypothèses car je n’ai aucune preuve. Je veux simplement attirer l’attention sur la chronologie de ces événements!