Guy Lubeigt est chargé de recherche au CNRS et auteur de Nay Pyi Taw : Une résidence royale pour l'armée birmane, paru au mois de janvier aux éditions Indes savantes. Il revient juste de Birmanie, où il a assisté à ces législatives partielles. Entretien.
RFI : Est-ce que avec ces postes de députés, la LND va redevenir une véritable force d’opposition ?
Guy Lubeigt : Elle ne peut pas redevenir une véritable opposition en tant que telle, puisque le nombre de postes qu’elle aurait gagnés est relativement négligeable dans le Parlement birman : sur 664 sièges, dans le meilleur des cas elle aurait 43 sièges – un peu moins de 7%. Donc ce n’est pas grand-chose, puisque l’essentiel de la représentation officielle du Parlement est constituée par des militaires, qui représentent le quart des députés et qui, ceux-là, sont nommés par le régime.
RFI : La nouvelle session parlementaire, c’est à la fin du mois. Qu’est-ce que ces députés de la LND fraîchement élus vont faire ?
G.L. : Ils vont suivre essentiellement la ligne de conduite qui leur sera donnée par Aung San Suu Kyi. Elle veut surtout utiliser le Parlement comme tribune politique : le monde entier va avoir les yeux fixés sur ce qu’elle va dire lorsqu’elle y prendra la parole pour poser ses questions, qui pourront ensuite être répercutées dans le monde entier pour faire avancer les idées de la Ligue nationale pour la démocratie.
Aung San Suu Kyi a expliqué qu’elle allait bien sûr demander la poursuite des réformes, et notamment la fin de la mainmise des militaires sur le gouvernement civil - que ces députés militaires retournent dans leur caserne. Elle va ensuite demander que les crédits destinés à l’armée soient réduits – officiellement ils sont de 16%, mais on n’a pas de mal à imaginer qu’une partie de ces crédits sont plus ou moins dissimulés dans les budgets de plusieurs ministères auxquels les députés n’ont actuellement pas accès, et sur lesquels ils n’osent pas trop enquêter.
Elle va aussi demander que le budget de l’éducation nationale et de la santé soient augmentés. 70% de la population a moins de 35 ans, donc vous avez un pays de jeunes qui est dirigé par des vieux, des militaires qui ont monopolisé tous les postes importants de l’administration. Evidemment, Aung San Suu Kyi voudrait que le l’administration soit purgée de tous ces militaires.
RFI : le Parlement a-t-il un véritable pouvoir en Birmanie ?
G. L. : Le Parlement est issu de la Constitution de 2008, même si elle a été votée dans des conditions complètement rocambolesques. Donc il a un minimum de pouvoir. Il peut dire oui comme il peut dire non : il y a deux semaines, le président de l’Assemblée nationale voulait faire voter une loi pour augmenter les salaires des fonctionnaires, dans le but de diminuer ou supprimer la corruption. Il a eu beaucoup de mal à faire passer cette loi, qui finalement est passée grâce au soutien du président de la République. Il y a le clan des réformateurs qui, semble-t-il, est très ouvert – le président de la République, le président du Parlement, le président de la Chambre des nationalités. Mais il y a aussi tout un clan de gens qui freine des quatre fers, qui a été formé par l’ancien régime qui ne veut pas laisser la place, bloque tout ce qui lui est possible de bloquer, et a créé pas mal d’ennuis à Aung San Suu Kyi pendant la campagne électorale.
RFI : Là, il y a une véritable attente de la population par rapport à cette quarantaine de députés élus… Pour Aung San Suu Kyi, il ne faut pas décevoir cette attente, même si la LND n’a qu’un petit pouvoir.
G. L. : Absolument. Quand j’étais sur place à tous les carrefours, tous les coins de rues, il y avait des petits marchands qui vendaient des sigles de la LND, des petits drapeaux, des fanions, des t-shirts, des calendriers… Il y a un énorme espoir de la population – deux générations entières de Birmans ont été frustrés par le comportement de ce régime militaire. Alors, effectivement, le problème d’Aung San Suu Kyi, ça va être de pousser aux réformes sans bloquer. D’ailleurs, la première chose qu’elle a demandée aux gens, ça a été de rester calmes, de ne pas trop manifester. De toute façon, les députés LND qui arrivent à l’Assemblée ne pourront pas du tout influer sur le régime. Mais ils peuvent demander le règlement d’un certain nombre de questions, et en fait il y a toute la population qui est derrière. Les militaires vont donc quand même être gênés de sembler être ceux qui bloquent toute l’évolution du pays. Il ne faut pas non plus oublier qu’il y a au moins 50% de militaires qui sont plutôt aussi pour l’évolution et la réforme du régime.