Le Pakistan, pays de 180 millions d'habitants, confronté à une crise économique sans précédent et à une vague d'attentats perpétrés par les talibans, allié essentiel des Etats-Unis dans la région, est menacé par une grave crise politique, sur fond de bras de fer entre la Cour suprême et le gouvernement civil.
La Cour suprême reproche deux choses au gouvernement: de ne pas avoir mis en application l'arrêt qui annulait l'ordonnance de réconciliation nationale de 2007 - qui avait permis à Benazir Bhutto de rentrer au Pakistan, et le mémorandum remis aux autorités américaines après la mort d'Oussama ben Laden.
Une amnistie contestée
En 2007, le président de l'époque, le général Pervez Musharraf avait conclu une alliance secrète avec Benazir Bhutto - alors leader de l'opposition de retour d'exil. Les deux étaient tombés d'accord sur un futur partage du pouvoir, après les législatives de 2008. Le président Musharraf avait décrété une amnistie générale : plus de 8 000 personnes avaient été exonérés de toutes poursuites pour des faits de corruption. Parmi les bénéficiaires de cette amnistie figuraient Benazir Bhutto elle-même et son époux Asif Ali Zardari; le couple était sous le coup d'enquêtes pour des détournements de fonds, du temps où Benazir était Premier ministre et son mari ministre.
Après l'assassinat de Benazir dans un attentat-suicide attribué aux talibans en décembre 2007, et la large victoire de son parti aux législatives de 2008, Zardari avait été élu président par le Parlement.
Mais en 2009, la Cour suprême, annulant le décret d'amnistie de 2007, avait ordonné au gouvernement de rouvrir les procédures pour corruption. Le président Zardari était à nouveau mis en cause à propos d'une affaire de détournement de fonds publics sur des comptes en banques en Suisse.
Le gouvernement n'a jamais fait appliquer cette décision de justice.
Le scandale « mémogate »
L'autre scandale qui menace directement le chef de l'Etat est le « mémogate », du nom d'un mémorandum que l'ex-ambassadeur pakistanais à Washington aurait remis aux Américains en mai dernier, peu après la mort d'Oussama ben Laden, tué par un commando américain dans le nord du Pakistan.
Ce message demandait à Washington d'intervenir pour protéger le gouvernement civil pakistanais contre un éventuel coup d'Etat militaire. En échange, Islamabad s'engageait à combattre les talibans et à réduire le pouvoir de l'armée. Les Etats-Unis étaient libres d'intervenir militairement au Pakistan, et de participer à la surveillance de son arsenal nucléaire.
Le président Zardari est soupçonné d'avoir inspiré ce mémorandum. Encouragé par l'armée, la Cour suprême a ordonné une enquête dans ce cas.
Le chef de l'Etat et le gouvernement sont en mauvaise posture : menacés par la justice, très impopulaires, accusés de mauvaise gouvernance et de corruption et confrontés à l'hostilité croissante de l'armée.
Des rumeurs sur la menace d'un coup d'Etat ont circulé ces dernières semaines au Pakistan, pays longtemps dirigé par des généraux putschistes et par des civils étroitement surveillés par les militaires. L'armée pakistanaise a renversé trois gouvernements civils depuis l'indépendance en 1947. Mais les récentes entrevues entre l'exécutif et le chef d'état-major de l'armée, le général Ashfaq Kayani, ont finalement apaisé ces rumeurs. Les analystes écartent maintenant l'hypothèse d'un putsch, d'autant plus que les Etats-Unis veulent éviter une dégradation des relations entre civils et militaires, afin que le Pakistan puisse contribuer aux efforts de stabilisation dans l'Afghanistan voisin.
Tensions entre les Etats-Unis et le Pakistan
Les tensions entre les Etats-Unis et le Pakistan ont été exacerbées en 2011 par le raid américain qui a tué Oussama ben Laden au Pakistan en mai dernier, initiative ressentie comme humiliante par tous les Pakistanais : autorités, militaires et opinion publique confondus. De leur côté, les Américains se demandent si leurs alliés pakistanais sont réellement fiables.
La situation s'est encore dégradée en novembre dernier, quand une attaque d'hélicoptères de l'Otan sur un poste militaire à la frontière avec l'Afghanistan a tué 23 soldats pakistanais. En représailles à cette bavure, le Pakistan a bloqué les routes d'approvisionnement de l'Otan qui transitent par son territoire. Par ailleurs, la multiplication des attaques de drones américains dans la zone frontalière a irrité Islamabad - les autorités considèrent qu'ils tuent plus de civils pakistanais que de combattants islamistes.
Crise politique en vue?
Dans ces conditions, une crise politique n'est pas exclue au Pakistan. On peut s'attendre à une chute de l'exécutif à moyen terme, et à des élections législatives anticipées avant la fin de l'année. Ces élections, normalement prévues début 2013, doivent se tenir trois mois après la chute du gouvernement.