Les événements continuent de s'enchaîner à un rythme soutenu en Birmanie. Un cessez-le-feu historique a été signé le jeudi 12 janvier entre le gouvernement et la guérilla karen, mettant fin à une guerre civile de plus de soixante ans dans cet Etat du sud-est de la Birmanie. Et ce vendredi 13 janvier 2012, ce sont des centaines de prisonniers politiques qui ont été libérés. Le régime a annoncé que 651 détenus seront ainsi graciés par le président Thein Sein. Le quotidien birman Weekly Eleven affirme que 591 prisonniers de conscience devraient être libérés dans le cadre de l'amnistie présidentielle. Un signal fort à la veille de la visite officielle du chef de la diplomatie française, Alain Juppé.
Les informations sur l'identité des prisonniers libérés continuaient d'arriver au compte-gouttes tout au long de cette journée du vendredi. Une incroyable succession de noms de prisonniers de premier plan, parmi lesquels Min Ko Naing, l'un des leaders du mouvement étudiant Génération 88, qui a passé la majeure partie de son temps en prison depuis 1988 et qui purgeait une nouvelle peine de 65 ans de prison pour son implication dans la « révolte Safran » de 2007. Ces manifestations avaient été réprimées dans le sang et celles de 1988 s'étaient soldées par la mort d'au moins 3 000 personnes.
Outre ce symbole de l'opposition à la junte birmane, ont également recouvré la liberté plusieurs autres membres du mouvement étudiant, dont Ko Ko Gyi et Htay Kywe. Sur la liste des bénéficiaires de la grâce présidentielle figurent également des journalistes, des leaders des minorités ethniques, notamment Karen et Shan, des blogueurs comme Nay Phone ou encore l'ancien Premier ministre Khin Nyunt qui, victime d'une purge, avait été assigné à résidence. Des moines font aussi partie des amnistiés, dont le célèbre Ashin Gambira, l'un des leaders des protestations de 2007.
Sans l'aval des militaires
Cette vague de libération de prisonniers de conscience très connus suscite évidemment beaucoup d'espoir sur la sincérité des réformes engagées par le nouveau gouvernement birman depuis quelques mois. D'autant que le nombre de libération dépasse largement celui du 12 octobre dernier lorsque sur les 6 300 prisonniers libérés, environ 200 étaient des prisonniers politiques. Sur la liste figurait quelques rares noms célèbres dont Zarnagar, l'humoriste qui purgeait une peine de 35 ans de réclusion. Selon le principal parti d'opposition, la LND ( Ligue nationale pour la démocratie), le nombre actuel de prisonniers de conscience en Birmanie (artistes, journalistes, moines, intellectuels et autres opposants) varie entre 500 et 600. Mais le chiffre exact est sujet à diverses estimations et atteindrait les 1 500 selon d'autres sources.
La vigilance reste donc de mise. Selon le média d'opposition en exil Democratic Voice of Burma, les amnisties de ce vendredi ont été proclamées en vertu de l'article 401 de la Constitution, qui permet au président, une fois l'amnistie décidée de la suspendre à tout moment. Et contrairement aux amnisties précédentes, celle-ci a été décidée sans l'aval des militaires. Ce qui semble marquer une volonté de distance vis à vis d'eux.
Au vu du nombre de dissidents politiques libérés ce vendredi, il semblerait que le gouvernement birman souhaite définitivement convaincre ses interlocuteurs étrangers que la junte, au pouvoir pendant plus d'un demi-siècle, a tiré un trait sur le passé et qu'elle a véritablement transmis ses pouvoirs à un gouvernement civil. La Birmanie cherche, en effet par, tous les moyens à sortir de son isolement international et obtenir la levée des sanctions politiques et économiques imposées à la junte pour sa politique répressive.
Précipitation diplomatique
Ces dernières semaines, la Birmanie est devenue une destination incontournable pour les diplomates étrangers. Les Etats-Unis avaient ouvert la marche il y a un peu plus d'un mois avec la chef de la diplomatie américaine Hillary Clinton. Depuis, ce ne sont pas moins de cinq délégations qui s'y sont rendues. Dimanche 15 janvier 2012, ce sera au tour du ministre des Affaires étrangères français Alain Juppé de s'y rendre. Il ira d'abord à Rangoon le 15 janvier pour y rencontrer Aung San Suu Kyi, la célèbre opposante et prix Nobel de la paix. Et le 16 janvier, il s'entretiendra avec le président birman Thein Sein et son homologue Wunna Maung Lwin.
Cette visite s'inscrit incontestablement dans un contexte de réchauffement diplomatique à l'égard du nouveau gouvernement birman. En tout cas, les nombreuses démarches en vue d'une démocratisation du pays sont jugés plutôt positives et encourageantes par les chancelleries occidentales. Mais Londres et Washington jugent pour le moment prématuré de lever les sanctions économiques adoptées en 1996 par l'Union européenne et un an plus tard par les Etats-Unis. Tout en saluant les réformes mises en œuvre depuis plusieurs mois en Birmanie, la France restera probablement elle aussi très vigilante sur plusieurs points, notamment sur libération de tous les prisonniers politiques, l'assurance d'élections libres et démocratiques et le respect des minorités qui représentent 40% des 60 millions d'habitants.