Dictateurs de père en fils
Selon la propagande officielle, Kim Jong-il était né en 1942 au sommet de la plus haute montagne du pays, le Mont Paekdu, à 2 744 mètres d’altitude, une naissance saluée par un double arc-en-ciel et l’apparition de la plus haute étoile du ciel. Plus prosaïquement, les historiens estiment qu’il a, en fait, vu le jour en Russie, dans un camp d’entraînement de partisans communistes d’où son père a dirigé la guerre de résistance contre les Japonais, qui avaient envahi la Corée, en 1910.
Et c’est dans le train blindé qu’il utilisait pour ses déplacements (il ne supportait pas l’avion) qu’il serait mort samedi d’un infarctus, lors d’un de ses déplacements sur le terrain – mais peut-être, là aussi, a-t-on affaire à de la propagande…
Car sous la direction de Kim Jong-il, qui avait hérité de la Corée du Nord de son père en 1994, le pays est resté l’impitoyable dictature communiste qu’avait créée son père en 1953 : culte de la personnalité du chef, armée docile et camps de travail pour que tout le monde marche bien droit.
Et le pays est toujours en guerre contre la Corée du Sud - en 1953 l'armistice a été signé, mais il n'y a pas eu de traité de paix. Kim Jong-il est ainsi accusé d’avoir organisé l’attentat qui a coûté la mort à 17 Sud-Coréens à Rangoon, en Birmanie, en 1983 ; il serait aussi derrière l’explosion en vol d’un avion de la Korean Airlines en 1987, quelques mois avant les Jeux Olympiques de Seoul. Bilan : 117 morts. Et puis l’an dernier, en 2010, une corvette sud-coréenne a été torpillée, bilan 46 morts. Pyongyang avait rejeté toute responsabilité, mais la communauté internationale avait pris de nouvelles sanctions à l’égard d’un pays qui en fait déjà les frais depuis la fin de la guerre civile.
Des sanctions alourdies ou allégées au rythme de l'évolution du programme nucléaire de Pyongyang, cauchemar de l’Asie et des Etats-Unis. Depuis des années, la communauté internationale veut que Pyongyang y renonce en échange d'une importante aide énergétique et alimentaire, mais Kim Jong-il a claqué la porte des négociations il y a trois ans, avant un nouvel essai nucléaire en 2009 – le premier datait de 2006.
Un pays affamé
Et si c’est une aide alimentaire que la communauté internationale propose comme monnaie d’échange, c’est à cause des graves pénuries que le pays connaît régulièrement : cet été encore, à cause des plus graves inondations qu’ait connues le pays depuis 60 ans, Pyongyang a dû demander de l’aide à ses deux seuls alliés, la Chine et la Russie. Déjà dans les années 1990, juste après l'arrivée de Kim Jong-il, les pénuries avaient fait entre 200 000 et un million de morts. Selon la FAO, l’organisation de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture, près de 3 millions de personnes devraient encore avoir besoin d’une aide alimentaire en 2012.
Pendant ce temps, les rumeurs couraient sur le régime alimentaire de Kim Jong-il : homards frais amenés par hélicoptère pendant ses déplacements, baguettes en argent et dépenses somptuaires en alcool et en vins fins : plusieurs centaines de milliers de dollars chaque année.
La page blanche Kim Jong-un
La question maintenant c’est de savoir si Kim Jong-un va suivre les pas de son père et de son grand-père. A l’origine, ce n’est pas lui qui devait succéder à son père, mais son frère aîné Kim Jong-nam qui, il y a dix ans, aurait perdu les faveurs paternelles après une histoire rocambolesque (il avait été expulsé du Japon après avoir tenté d’y pénétrer muni d'un faux passeport).
Il a donc fallu trouver un autre héritier, ce sera Kim Jong-un, bombardé l’an dernier général quatre étoiles, vice-président de la Commission militaire centrale du Parti, et désigné de manière officielle héritier - ce n'est d'ailleurs qu'à ce moment-là qu'on a eu droit à une photo récente, la précédente datait de plus de 10 ans. Et Kim Jong-il a évidemment consulté ses alliés russes et chinois pour s’assurer de leur soutien lors de l’arrivée au pouvoir de son fils.
Un fils sur lequel on ne sait, en fait, pas grand-chose : des études en Suisse, un intérêt pour le basket-ball… Et comme son père, il souffrirait de diabète.
Un père à qui il ressemblerait d'ailleurs beaucoup, tant au niveau du physique que de la personnalité : c'est ce qui aurait motivé Kim Jong-il dans son choix, puisque l'objectif c'est évidemment que la dictature nord-coréenne ne bouge pas d'un pouce.
De fait, en septembre dernier, Kim Jong-un était bien à côté de son père pour fêter les 63 ans du régime communiste, devant une armada de militaires, de lance-roquettes et de batteries antiaériennes.
Quelques rares condoléances et beaucoup d’inquiétudes
Ce qui intéresse surtout la communauté internationale, c’est de savoir si le successeur de Kim Jong-il continuera les consultations directes entamées il y a quelques semaines pour une reprise des négociations sur le nucléaire. C’est ce que la Grande-Bretagne a déjà demandé.
Trois pays ont présenté leurs condoléances : les alliés, Moscou et Pékin, même si leurs déclarations se sont faites attendre quelques heures. La Chine en a profité pour réaffirmer ses relations d'amitié avec la Corée du Nord - pour nombre d'experts, la dynastie des Kim n'aurait pas beaucoup de chances de survivre sans Pékin.
Et puis le Japon, étonnamment, a lui aussi présenté ses condoléances, malgré les enlèvements de Japonais commis dans les années 1970 et 1980 par les services secrets nord-coréens, et les tests de missiles en mer du Japon. Tokyo a aussi dit son espoir que, malgré le décès de Kim Jong-il, la péninsule reste stable. La réponse a été rapide : quelques heures à peine après l’annonce de la mort du « soleil du XXIe siècle », la Corée du Nord effectuait un test de missile à courte portée...