Poutine à Pékin : le dragon achète la peau de l’ours

Le Premier ministre russe, Vladimir Poutine, a choisi la Chine comme premier pays où il se rend après l’annonce de sa candidature à l’élection présidentielle de 2012. Il n’arrive pas les mains vides : Pékin annonce la conclusion de contrats économiques et commerciaux de plus de sept milliards de dollars.

Les Chinois ne peuvent qu’être contents du prochain retour de Vladimir Poutine au Kremlin à l’occasion du scrutin présidentiel de 2012. Ils vont pouvoir continuer à travailler avec un dirigeant qu’ils connaissent bien, et qui est une figure importante dans le jeu stratégique qui les intéresse fortement. Selon Rouslan Poukhov, responsable du Centre d’analyse des stratégies et des technologies à Moscou, « pour les Chinois, c’est une bonne nouvelle ». En effet, « l’accélération du rapprochement de la Russie avec l’Occident » survenue sous la présidence de Dmitri Medvedev « avait potentiellement un côté antichinois ». Autrement dit, « si la Russie avait continué à se rapprocher notamment des Etats-Unis, tôt ou tard, les belles phrases n’auraient pas suffi, il aurait fallu des actions concrètes ». Actions, dont la Chine aurait été sans doute exclue.

Certes, il est difficile d’imaginer que le rapprochement russo-américain ait été opéré à l’insu ou contre la volonté de Vladimir Poutine. Néanmoins, de l’avis de Rouslan Poukhov, les Chinois se sentent particulièrement rassurés par le côté « pragmatique, plus équilibré » de l’actuel Premier ministre russe, donc son prochain retour à la tête de l’Etat doit les « réjouir ».

Provocation ?

Ce qui réjouit certainement moins Pékin, c’est l’éclatement, à Moscou, d’une affaire impliquant un espion chinois. Et cela risque d’agacer les responsables chinois, d’autant plus que les services russes ont attendu un an, pour annoncer l’arrestation de l’espion… presque à la veille de la visite de Poutine à Pékin.

Il est difficile de s’empêcher de penser à une provocation ou à un test des limites de la volonté chinoise d’un rapprochement avec la Russie, mais en réalité, les motivations de Moscou dans cette affaire restent assez ambiguës et mystérieuses. En général, les opérations du FSB sont souvent difficiles à déchiffrer, mais rarement dues au hasard…

En tout cas, Pékin ne s’est pas laissé provoquer. Il n’y a eu aucun commentaire de sa part. Ce qui ne veut pas dire que l’affaire ne laissera pas de traces, et ceci des deux côtés. Le professeur Jiang Yi, chercheur à l’Académie des sciences sociales de Pékin, ne pense pas que cette affaire « soit de nature à nuire aux relations entre les deux pays sur le fond ». En revanche, ce professeur s’attend à « des répercussions sur la confiance », car « les militaires russes se méfiaient déjà des Chinois, cela va donc sûrement avoir un impact sur le plan des échanges en matière d’armement. Moscou voit évidement d’un très mauvais œil le fait que la Chine copie ses armes sans son accord ».

Emancipation ?

Selon un récent rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), la Chine serait en train de s’émanciper de la Russie aussi bien en matière d’armements que dans le domaine énergétique. Hypothèse plausible, dans la mesure où les Chinois ont tout simplement copié de nombreux engins militaires et les produisent eux-mêmes. Toutefois, ils ne sont pas encore capables de tout copier. Un expert militaire russe, Alexander Goltz, affirme que « la Chine a déjà acquis toutes les technologies qu’il était possible d’acquérir ». Il observe quand même qu’« il y a des secteurs où la Chine dépend encore de la Russie. C’est, par exemple, pour les moteurs. Les Chinois n’arrivent pas, pour l’instant, à fabriquer des moteurs d’avion. Si transactions il  y a, elles concerneront donc ce secteur étroit ».

En ce qui concerne le domaine énergétique, les Chinois ont réussi à affaiblir la position de la Russie sur leur marché, en se tournant vers de nouveaux fournisseurs, comme l’Arabie Saoudite pour le pétrole ou l’Asie centrale pour le gaz. Cependant, la Chine est le premier consommateur mondial d’énergie et ses besoins restent énormes. Le professeur Jiang Yi reconnaît que, malgré ces modifications, « les relations entre la Russie et la Chine reposent en grande partie sur l’échange énergétique ».
 
Concrètement, « la Chine est désormais l’un des tout premiers clients de la Russie pour le pétrole, et ces échanges n’ont cessé d’augmenter ces dernières années. Ce qui est aussi un handicap, d’une certaine manière, car très souvent les négociations bloquent ». Pourquoi ? « Les compagnies d’Etat des deux pays ont parfois des rapports difficiles, notamment sur le prix du pétrole. Mais encore plus sur le gaz, cela fait maintenant deux ans que l’on discute sans parvenir à tomber  d’accord ». Un accord qui, finalement, est annoncé comme l’un des points d’orgue de la visite de Vladimir Poutine à Pékin.

Coopération

Malgré toutes les difficultés dans d’autres domaines, la Chine coopère beaucoup avec Moscou en matière de politique internationale, notamment au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Les deux puissances ont de nombreux intérêts communs. Par exemple, elles œuvrent systématiquement contre toute autorisation d’utiliser la force pour abolir des dictatures ou pour défendre les droits de l’homme. Sans doute, par crainte qu’un tel principe puisse être un jour utilisé contre elles-mêmes.

Ceci dit, les Chinois ont actuellement besoin de la Russie pour d’autres raisons également. Rouslan Poukhov remarque qu’« en 2010, les relations de la Chine avec tous ses voisins se sont détériorées, quasi simultanément. En effet, « cela a été le cas avec le Japon, avec la Corée ; avec l’Inde, les rapports ont été toujours tendus, avec le Vietnam, aussi… ». Ainsi, « les Chinois ont subitement eu peur, d’autant qu’avec la Russie, il y avait aussi des tensions ». Ils ont donc « essayé d’amadouer la Russie en menant des discussions sur les armements et en renonçant à leurs conditions très dures ». De l’avis de l’expert russe, « les Chinois vont sans doute continuer dans cette voie ; ils vont tenter, à travers des contrats d’armements, de s’attirer à nouveau la bienveillance de la Russie ». Comme quoi, il faut parfois s’armer pour se faire aimer…

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