RFI : L’homme d’affaires Ziad Takieddine, mis en examen, demande la levée du secret-défense sur les contrats d’armement avec le Pakistan et l’Arabie Saoudite. Cela signifie-t-il que Takieddine est assez sûr de lui et que les documents déclassifiés le mettraient hors de cause ?
Maître Olivier Morice : Non, pas du tout. Hier (29 septembre 2011), Ziad Takieddine a fait une communication d’illusionniste. Il est venu expliquer qu’il n’était pas concerné par les contrats Agosta, alors que François Léotard le met directement en cause. Et il est venu dire qu’il faudrait déclassifier tous les éléments sur les contrats (…). C'est-à-dire qu’on a l’impression qu’il demande la déclassification du document juridique, à savoir le contrat. Mais ce n’est pas cela qu’il faut déclassifier. Il faut déclassifier tous les éléments financiers, qui sont notamment au ministère du Budget et dont le juge Van Ruymbeke n’a pu obtenir la déclassification parce que cela lui a été refusé, notamment par le ministre du Budget François Baroin.
RFI : Aujourd’hui, il reste beaucoup d’éléments encore couverts par le secret-défense ?
O.M. : A l’évidence. D’abord il y a des documents dont on a refusé la déclassification. Nous en avons une certaine liste puisque, lors de la transmission, on sait que ces documents n’ont pas pu être transmis au juge ; et puis il y a des documents qu’on découvre tous les jours ! (…) Au début de cette affaire, je me souviens que le ministre de la Défense expliquait, lors d’une première déclassification, que tous les documents avaient été déclassifiés. A l’Assemblée nationale, des ministres s’étaient levés pour dire la même chose. Récemment encore, Nadine Morano expliquait : « Nicolas Sarkozy a déclassifié tous les documents ». Vous voyez, manifestement, Ziad Takieddine n’est pas tout à fait d’accord (…), il sait qu’il y a d’autres documents qui n’ont pas été déclassifiés.
RFI : Et les refus de déclassification n’ont pas à être motivés ?
O.M. : C’est le système qui existe aujourd’hui, nous le contestons. Nous avons déposé une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) sur la loi telle qu’elle existe concernant le secret-défense et dans quelles conditions les documents peuvent être déclassifiés (…). Nous plaiderons bientôt devant le Conseil constitutionnel.
RFI : Dans une interview accordée le 29 septembre 2011 à BFM TV, Ziad Takieddine attaque également Dominique de Villepin. Ce dernier avait affirmé, il y a quelques semaines, que Jacques Chirac avait ordonné l’arrêt du versement des commissions sur les contrats après son élection en 1995 en raison de soupçons de rétrocommissions. Ziad Takieddine dit la chose suivante : « où est parti l’argent ? Je sais que le versement de cet argent ne s’est pas arrêté. Cet argent a été transféré à une destination autre, que je connais, et que je dévoilerai au président de la République et à la justice ». Avez-vous des informations à ce sujet ?
O.M. : Non, mais là encore, c’est très confus, c’est peu clair, si ce n’est qu’on le voit bien : la stratégie de défense de Ziad Takieddine est d’attaquer les clans chiraquien et villepiniste, d’essayer de tendre la main à Nicolas Sarkozy en lui faisant une supplique pour déclassifier, et puis en même temps, de menacer Claude Guéant (…).Takieddine a fait une menace explicite (…) en lui disant, en quelque sorte, « rafraichissez-vous la mémoire, j’ai pas mal de choses vous concernant à pouvoir révéler ».
RFI : Brice Hortefeux est entendu, aujourd’hui vendredi 29 septembre, à sa demande, par la police judiciaire, au sujet de son fameux coup de téléphone à Thierry Gaubert, proche de Nicolas Sarkozy ; coup de téléphone passé le 14 septembre, lorsqu’il était en garde à vue. Qu’attendez-vous de cette audition ?
O.M. : D’abord je suis très étonné du service d’enquête qui s’occupe d’entendre Brice Hortefeux, c’est la DCPJ. Lorsque les informations au niveau hiérarchique remontent, notamment dans les ministères de l’Intéireur, de la Justice – sachant que le communiqué de presse émis par l’Elysée indiquait qu’ils avaient connaissance des pièces de la procédure – c’est souvent par cette voie que les informations peuvent remonter. Donc nous aurions souhaité que ce soit un service d’enquêtes quand même extérieur. Nous verrons. Nous avons déposé une plainte… Si nous ne sommes pas satisfaits de cette enquête préliminaire, nous saisirons le doyen des juges d’instruction, pour faire ouvrir une information judiciaire avec un juge indépendant.
RFI : Vous pensez qu’aujourd’hui, des responsables politiques sont tenus informés de l’avancée, des nouvelles révélations de ce dossier alors qu’ils ne devraient pas l’être ?
O.M.: C’est certain.
RFI : Vous avez déposé plainte hier contre Brice Hortefeux. Pour quelle raison ?
O.M.: Nous allons citer en correctionnelle directement Brice Hortefeux parce qu’il a expliqué, dans Le Nouvel Observateur, que je devrais être fracassé (…). Nous considérons que c’est une menace, une intimidation. Ce sont des termes qui ne me surprennent pas beaucoup dans la bouche de Brice Hortefeux mais il faudrait tout de même une nouvelle fois lui rappeler le Code pénal. Et c’est ce que nous allons faire (…). Je reçois de nombreux soutiens, de confrères, de magistrats, de personnes qui souhaitent que nous allions jusqu'au bout.
RFI : Pourquoi dites-vous que cela ne vous surprend pas dans la bouche de Brice Hortefeux ?
O.M.: Parce qu’il y est habitué.
RFI : Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que Nicolas Sarkozy, qui était le porte-parole de la campagne d’Edouard Balladur en 1995, était au courant de toute cette affaire ?
O.M.: Ce n’est pas la responsabilité (de Nicolas Sarkozy) en qualité de porte-parole qui est en cause. C’est le fait que lorsqu’il était ministre du Budget, en 1995, il a eu à connaître les conditions dans lesquelles les contrats ont été avalisés et le système qui a permis, notamment à l’étranger, au Luxembourg, de faire circuler des commissions, et ensuite de permettre (…) le retour illicite de commissions (…). Nicolas Sarkozy était dans la composante balladurienne, il était très proche d’Edouard Balladur. Et lorsque nous avons dit que Nicolas Sarkozy était au centre de la corruption, c’est précisément en raison de ses fonctions de ministre du Budget et de ce qu’il savait à l’époque.
RFI : Est-ce qu’aujourd’hui la justice peut faire sereinement, sérieusement, professionnellement, son travail dans cette affaire ?
O.M.: Les entraves se sont déjà produites. Il y en a eu de multiples. Il est difficile pour le juge d’instruction de continuer son travail mais il le fait avec beaucoup de talent. (…) Vous avez sans doute constaté qu’il y a une riposte qui est organisée (…). Elle concerne les conseils des familles des victimes. C’est assez surprenant et en même temps, nous nous y attendions.
RFI : De quelle riposte parlez-vous ?
O.M.: C’est une riposte qui consiste à dire que, ce que nous mettons en évidence, n’a pour d’autre objectif que de déstabiliser le chef de l’Etat, son entourage et qu’en réalité, nous faisons un travail politique. Moi, je ne suis pas engagé politiquement. Je n’ai pas le temps de faire de la politique. Je m’occupe de la défense de mes clients et je ne veux pas qu’on m’empêche
RFI : Avez-vous déposé plainte contre Nadine Morano ? Vous l’aviez annoncé à la suite d’un échange très vif la semaine dernière sur Canal+.
O.M.: Nous sommes en train de la rédiger. Cette plainte sera déposée très rapidement pour diffamation et injures publiques.